Un million d’euros par an pour chaque équipe. Deux cent cinquante millions promis demain. Une course en Arabie Saoudite, une autre en Amérique, et pourquoi pas sur Mars tant qu’on y est. Des noms ronflants, des promesses pleines les sacoches, et au bout : le suicide collectif d’un sport qui fut jadis populaire, libre, européen dans l’âme, et même un peu anarchiste dans ses échappées.
Ce projet de « One Cycling », porté par les pétrodollars saoudiens, est une trahison. Une haute trahison contre l’histoire, contre les coureurs, contre les supporters qui, chaque juillet, plantent leur tente sur les bords d’un col pyrénéen ou circulent à travers les Flandres au Printemps, et qui ne demandent rien d’autre qu’un peu de sueur authentique et de poésie mécanique.
Mais voilà que le cyclisme, comme le football avant lui, est happé par les nouveaux marchands du temple. Ceux qui investissent non par passion mais pour laver leur image, pour influencer, pour contrôler. Qatar, Arabie Saoudite, Émirats… Chaque fois qu’ils posent un dirham sur le sport, ils y injectent leur poison : influence politique, omerta, marchandisation à outrance, et demain — n’en doutons pas puisqu’on en soupçonne déjà quelques uns aujourd’hui —, dopage industriel et coureurs mutants, taillés pour des performances qui relèvent plus de la pharmacologie que de la physiologie humaine.
Le cyclisme va devenir une série Netflix, scénarisée à Ryad, produite à Doha, diffusée en prime-time, avec commentateurs aux ordres (omerta oblige) et pelotons réécrits pour plaire à l’algorithme. On efface le vent de la plaine, la pluie sur le bitume, les pavés de Roubaix. On remplace l’épopée par le produit. On fait même payer les entrées (et pourquoi pas interdire la bière au bord des routes tant qu’on y est ?). Et les coureurs, jadis forçats de la route, deviennent des figurants, formatés pour « performer », bardés de capteurs, suivis par drones et IA, enchaînés à leur data.
La Super Ligue ? Le mot est lâché. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : une ligue fermée, verrouillée, où l’on choisit les acteurs, les parcours, les enjeux. Où l’on ferme la porte aux rêveurs, aux petits, aux jeunes Bretons, Flamands ou Italiens qui rêvent encore de « faire le Tour » ou de s’imposer sur le Vélodrome de Roubaix. Cette idée-là, ce rêve-là, c’est précisément ce que ces investisseurs veulent tuer : ils veulent faire du cyclisme un spectacle privé, réservé à quelques riches, quelques sponsors, quelques télés — et tant pis pour les histoires humaines, tant pis pour les amoureux du bord de route.
On nous promet une révolution. Ce sera une exécution. Celle d’un sport populaire, vieux de plus d’un siècle, qui a traversé les guerres, les révolutions, les scandales, mais toujours en gardant son âme : celle de la route ouverte, du courage brut, du public libre et heureux de voir passer des chevaliers de la pédale, furtivement, une fois ou plus dans l’année à côté de chez soi, et sans payer.
Et ceux qui, aujourd’hui, dans le peloton professionnel ou chez les organisateurs, s’apprêtent à signer ce pacte avec le diable — Flanders Classics, RCS, certaines équipes — doivent savoir qu’ils ne vendent pas un produit. Ils vendent l’âme du cyclisme. Ils livrent le sport aux marchands, à l’influence, au dopage programmé, à la disparition des classiques, à la mort du calendrier européen.
Ils croient signer un chèque. Ils signent un acte de décès.
À ceux qui aiment encore le vélo, le vrai, celui des bardés de cambouis et des cœurs simples, des suiveurs fous et des majorettes en bord de route, des pogos et des fumigènes de spectateurs en haut de l’Alpe ou du Ventoux, des excès de Flamands ivres sur les bords des routes, des échappées improbables et des bras levés dans l’anonymat d’une étape pluvieuse : levez-vous. Résistez.
Un sport qui ne connaît plus la sueur, la surprise et l’inattendu est un sport mort. Ce projet est une nécrologie anticipée. Et nous n’irons pas pleurer sur sa tombe.
Merde à « One Cycling ». Et vive le cyclisme libre !
YV
Illustration : réalisée par l’IA
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Une réponse à “Ligue fermée, One Cycling : au nom du fric, ils veulent décapiter l’âme du cyclisme [L’Agora]”
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