Pendant longtemps, la carte féodale de la Bretagne médiévale fut construite sur des hypothèses parfois fragiles. Dans leur étude approfondie, les historiens Bertrand Yeurc’h, André-Yves Bourgès et Patrick Kernévez remettent les pendules à l’heure, en reconstituant avec rigueur l’émergence et l’évolution des grandes familles bretonnes entre le IXᵉ et le XIIIᵉ siècle.
Des racines mérovingiennes et carolingiennes
Dès les temps mérovingiens (VIᵉ siècle), deux grandes entités dominent : la Cornouaille et la Domnonée. À cette époque, les chefs locaux, souvent appelés « rois » dans les récits hagiographiques, sont progressivement intégrés dans l’organisation franque en devenant « comtes ». Ces comtes exercent leur autorité dans un cadre inspiré de l’administration romaine.
Avec l’époque carolingienne (VIIIᵉ-IXᵉ siècles), l’administration se structure davantage : la Bretagne est divisée en comtés comme Nantes, Rennes et Vannes. À l’ouest, dans la « Bretagne intérieure », les évêchés de Cornouaille, Léon et Tréguier organisent le pouvoir religieux et territorial.
La montée des vicomtes et l’émancipation locale
À partir du Xe siècle, une crise du pouvoir central favorise l’essor de lignages vicomtaux. Initialement simples délégués des comtes, les vicomtes prennent leur indépendance en s’installant sur leurs terres patrimoniales et en bâtissant de véritables châtellenies. Ces lignages, comme les vicomtes de Léon ou ceux de Porhoët, deviennent des puissances locales incontournables.
Cette dynamique contribue à l’éclatement progressif des pagi (anciens districts administratifs carolingiens) et annonce la féodalisation complète du territoire.
Après les invasions vikings : recomposition des pouvoirs
La vague d’invasions scandinaves du Xe siècle fragilise les structures existantes. De nombreuses familles comtales disparaissent, ne laissant subsister que deux grandes maisons : celle de Nantes-Cornouaille (issue d’Alain Barbetorte) et celle de Rennes-Porhoët. Le pouvoir se recentre alors à l’est de la Bretagne, mais laisse à l’ouest (Cornouaille, Léon, Trégor) de nouvelles opportunités pour les seigneurs locaux.
C’est aussi à cette époque que se forment les Eudonides, futurs comtes de Penthièvre, qui marqueront profondément l’histoire de la Bretagne ducale.
L’étude met en garde contre une lecture trop mythifiée du passé breton : les structures de pouvoir en Bretagne suivent des logiques comparables à celles de l’ensemble de la France médiévale, plutôt qu’un modèle spécifiquement « celtique ». Les titres, les fonctions et l’organisation des pouvoirs bretons s’inscrivent dans une lente mais certaine intégration au monde franc puis féodal.
Illustration : DR
[cc] Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine