Et si la gauche avait toujours été antisémite ? C’est la thèse dérangeante et solidement étayée que développe le journaliste Clément Weill-Raynal dans son dernier ouvrage La gauche antisémite – Une haine qui vient de loin (éditions de l’Artilleur). Fort de quarante ans de carrière dans l’investigation, connu pour avoir révélé le scandale du « mur des cons » au sein du Syndicat de la magistrature, l’auteur plonge dans les textes fondateurs du socialisme français, les archives oubliées de la presse communiste, les discours des figures de proue de la gauche… pour dévoiler un legs idéologique que beaucoup préfèrent ignorer.
À rebours des mythes sur une gauche naturellement dreyfusarde et toujours du côté des opprimés, Clément Weill-Raynal démonte, chapitre après chapitre, une construction mémorielle qu’il accuse de masquer une constante : la persistance, sous des formes diverses, d’une hostilité envers les Juifs, souvent dissimulée derrière l’antisionisme. À l’heure où l’extrême gauche française radicalise son discours contre Israël et où l’antisémitisme se banalise dans certains quartiers et partis, l’essai fait l’effet d’un électrochoc. Entretien.
Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Clément Weill-Raynal : Je suis journaliste depuis quarante ans. Je pratique mon métier avec bonheur et humilité. J’ai effectué des milliers de reportages et d’enquêtes diverses. Des grandes affaires et des petits faits-divers, tout aussi passionnants. J’ai aussi publié plusieurs ouvrages. A mon actif, et en toute modestie, je me dois de rappeler que je me suis trouvé au centre du scandale du «mur des cons» du syndicat de la magistrature dont j’ai révélé l’existence. Des militants malveillants ont essayé de m’abattre professionnellement à l’occasion de cet épisode. Ils en ont été pour leurs frais. Depuis douze ans, cette affaire est devenue une référence incontournable et une tache indélébile pour les magistrats qui en étaient à l’origine. Moi, cet épisode demeure une fierté. Je le porte comme une médaille. C’est mieux que la légion d’honneur.
Breizh-info.com : Qu’est-ce que l’antisémitisme pour vous, et en quoi l’antisionisme est-il différent ?
Clément Weill-Raynal : Des centaines d’ouvrages – au moins – ont été consacrés à l’antisémitisme qui demeure à certains égards un phénomène mystérieux et insondable. Il ne s’agit pas d’une simple défiance ou animosité envers un individu ou un groupe. Pour résumer les choses rapidement, disons que c’est une haine irrationnelle à l’égard des Juifs qui remonte à la nuit des temps, qui jalonne toutes les époques et toutes les sociétés.
Depuis la Shoah, l’antisémitisme est devenu honteux, ce qu’il n’était pas avant-guerre. D’où la tentation de certains de camoufler leur antisémitisme derrière un antisionisme de bon aloi.
Bien entendu, il est légitime de critiquer – à tort ou à raison – la politique d’Israël. Mais l’on constate en de nombreuses occasions, que cet antisionisme de façade ne tient pas longtemps et qu’il dérape vite dans de virulentes attaques contre les Juifs. J’en donne de nombreux exemples dans mon livre.
Breizh-info.com : Vous remontez aux doctrinaires du socialisme français pour démontrer l’ancrage ancien de l’antisémitisme à gauche. Quels sont les penseurs ou leaders socialistes qui, selon vous, ont posé les fondations idéologiques de cet antisémitisme
Clément Weill-Raynal : Depuis l’origine, la gauche nourrit une haine anti-juive tenace. Karl Marx lui-même a écrit des horreurs sur les Juifs qui ont été pudiquement mises aux oubliettes mais que je me donne la peine de citer. Pareillement, Lorsqu’on exhume les essais savants rédigés par les pères fondateurs du socialisme français, on est atterré.
Pour mémoire, on citera Alphonse Toussenel qui publia en1845 Les Juifs rois de l’époque,Gustave Tridon et son pamphletDu Molochisme juif,Albert Regnard qui rédigeaAryens et Sémites, le bilan du judaïsme et du christianisme.Sur des centaines de pages, les Juifs sont diabolisés, décrits comme une race malfaisante et maudite. Il ne s’agit pas d’une simple assimilation abusive des Juifs à l’argent ou d’une vision simpliste opposant la fortune de Rothschild à la misère ouvrière de l’époque. Dès le milieu du 19èmesiècle, une foule d’auteurs socialistes accusent les «juifs sémites» de pervertir la pureté raciale du «prolétariat aryen». 80 ans avant l’accession au pouvoir d’Hitler qui n’avait rien d’un précurseur en la matière! Pierre-Joseph Proudhon va jusqu’à prôner la suppression physique des Juifs, en masse. Je pourrais vous citer des dizaines d’auteurs. Sur ce terrain de l’antisémitisme,les leaders historiques de la gauche française – tels Jules Guesde et Jean Jaurès – ne sont pas en reste.
Breizh-info.com : On a souvent l’image d’une gauche dreyfusarde, humaniste. Mais vous affirmez que la réalité fut bien plus nuancée, voire inversée. Pourquoi cette légende perdure-t-elle ?
Clément Weill-Raynal : On présente souvent Jean Jaurès comme l’homme qui a fait basculer une partie de la gauche dans le camp des dreyfusards. Ce n’est pas faux. Mais c’était plus la figure de l’officier broyé de manière injuste par l’institution militaire de que celle du Juif victime d’un complot antisémite qui a fait réagir – tardivement – Jaurès. Cela ne l’a pas empêché d’écrire de violents articles antisémites, notamment dans le Dépêche du Midi. Tout cela est détaillé dans mon livre.
Pourquoi alors la légende d’une gauche amie des Juifs perdure-t-elle? Sans doute parce que la gauche a toujours été orfèvre dans la réécriture de l’histoire… qui est la sœur jumelle de la falsification. Les exemples abondent, et ne concernent pas que la question juive et l’antisémitisme.
Breizh-info.com : Vous évoquez les procès antisémites de Prague et de Moscou, orchestrés sous Staline, et largement soutenus par la gauche française à l’époque. Cette compromission a-t-elle été effacée volontairement de la mémoire collective ?
Clément Weill-Raynal : Certainement! Je me suis donné la peine d’aller consulter les archives deL’Humanitéet des autres titres de la presse communistes. Vous n’imaginez pas la violence des attaques formulées contre les Juifs à coup de tribunes, d’éditoriaux, d’articles incendiaires et même de caricatures odieuses.
A cet égard, les mensonges d’hier éclairent ceux d’aujourd’hui. A l’époque des procès de Prague et de Moscou, la presse communiste reprend les accusations de «complot sioniste» formulées par les justices soviétiques et tchécoslovaques. Mais très vite, la machine s’emballe et les articles deL’humanitéou deLa Nouvelle Critique(Le mensuel des intellectuels communistes) accablent les accusés «juifs» dont le judaïsme est constamment rappelé. Ce déchaînement a au moins le mérite de décrypter le lien entre l’antisionisme de façade et l’antisémitisme qui l’inspire.
Breizh-info.com : Que dire de figures comme Léon Blum, Pierre Mendès France ou Jean Zay ? Ne contrebalancent-ils pas, au contraire, votre démonstration d’une gauche structurellement antisémite ?
Clément Weill-Raynal : Je n’affirme pas que toute la gauche a été antisémite. Mais le parti communiste, l’extrême-gauche et tous les courants d’inspiration marxiste l’ont été à divers degrés. Puisque vous évoquez Léon Blum, sachez qu’il a fait l’objet d’un pamphlet ignoble, «Léon Blum, tel qu’il est»écrit par le leader communiste Maurice Thorez et qui suinte l’antisémitisme à chaque ligne. Quant à Pierre Mendès-France, il fut traité dans les couloirs de l’Assemblée nationale de «petit juif lâche et peureux» par Jacques Duclos, l’un des plus hauts responsables du PCF.
Breizh-info.com:Selon vous, le basculement antisioniste-antisémite de la gauche s’est accéléré après la guerre des Six Jours, en 1967. Qu’est-ce qui a fondamentalement changé dans le logiciel idéologique de la gauche à ce moment-là ?
Clément Weill-Raynal : La guerre des Six jours est sans conteste un moment clé. La victoire éclair des Israéliens a stupéfait le monde et bouleversé les codes de l’antisémitisme. Durant des siècles, une certaine propagande présentait les Juifs comme des apatrides veules et lâches. Ils incarnent brusquement un nationalisme brutal et conquérant qui opprime le peuple victime par excellence, à savoir les Palestiniens. De là découle notamment la nazification d’Israël, thème de prédilection des antisionistes les plus radicaux.
Breizh-info.com : N’a-t-on pas le droit aujourd’hui de faire une distinction entre critique légitime de la politique israélienne et antisémitisme ?
Clément Weill-Raynal : Oui, bien sûr. Mais cette critique doit elle aussi supporter une contre-critique. C’est le principe du débat contradictoire. Or, il apparaît souvent que les griefs faits à Israël sont erronés. Qu’ils relèvent d’une propagande cousue de fil blanc, inspirée par les islamistes et les dictatures arabes. Et comme je vous le disais, cette critique d’Israël verse régulièrement dans la mise en cause des Juifs, ostracisés et diabolisés. Les exemples abondent. Regardez les graves incidents survenus à Sciences-Po. Relisez les déclarations des responsables de La France Insoumise.
Breizh-info.com: En quoi La France Insoumise incarne-t-elle aujourd’hui, selon vous, la synthèse de ce long héritage antisémite de la gauche française ? Pourtant, Jean-Luc Mélenchon ne cesse de clamer qu’il combat l’antisémitisme…
Clément Weill-Raynal : Je consacre plusieurs chapitres à détailler la dérive antisémite de Jean-Luc Mélenchon. Le patron de LFI et ses lieutenants usent de la vieille technique stalinienne. Ils ne prononcent bien sûr jamais le mot «juif»mais procèdent par allusions transparentes. L’emploi pervers des mots est une incitation permanente à la haine. Les djihadistes assassins de civils juifs sont à leur yeux des «résistants». Tsahal est pour eux une armée «génocidaire». Manière de relativiser la Shoah et de sous-entendre que si les Juifs se comportent aujourd’hui comme des nazis, ce que leur ont fait subir naguère les nazis n’était peut-être pas si grave…ou peut-être même justifié. L’antisémitisme de Jean-Luc Mélenchon est aujourd’hui démasqué. De nombreux articles de presse, y compris à gauche, en attestent.
Breizh-info.com: Vous soulevez aussi l’ambiguïté d’une gauche prétendument antiraciste qui ferme les yeux sur l’antisémitisme dans certaines banlieues ou dans certains milieux communautaires. Est-ce par électoralisme pur ?
Clément Weill-Raynal : Il y a certainement un aspect électoral. Mais il y aussi – et c’est tout l’objet de mon livre – «une haine qui vient de loin» et dont toute une partie de la gauche est aujourd’hui héritière.
Breizh-info.com: Craignez-vous les procès en « réactionnarisme » ou en « révisionnisme historique » que certains ne manqueront pas de vous faire ?
Clément Weill-Raynal : Pas du tout. Tout d’abord parce que «révisionnisme», comme vous dites, est l’essence même de la recherche historique. Une certaine gauche, elle, n’a cessé depuis des lustres de réécrire l’histoire à son profit et parfois de la falsifier. Il est temps de remettre les pendules à l’heure.
Propos recueillis par YV
Illustration : DR
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2 réponses à “Clément Weill-Raynal : « Depuis l’origine, la gauche nourrit une haine anti-juive tenace » [Interview]”
La résilience extraordinaire des communautés juives tient sûrement en bonne partie à leur solidarité, favorisée par une religion forte. Mais cette spécificité leur nuit aussi énormément en les poussant à considérer comme antisémite presque n’importe quel acte visant un juif, quels qu’en soient les torts. Ainsi, Israël a pendant longtemps refusé d’extrader les délinquants juifs, et ne l’accepte aujourd’hui que de façon très restrictive. Tout ce que dit M. Weil-Raynal est sans doute très juste, mais la confusion qu’il cultive entre antisionisme et antisémitisme paraît extrêmement dangereuse pour les juifs eux-mêmes. Elle pousse à la mutation effective de l’hostilité à Israël en antisémitisme. Aujourd’hui, ce n’est pas l’antisémitisme qui mène à l’antisionisme mais l’antisionisme qui mène à l’antisémitisme (voire, par un excès inverse, à l’islamophilie).
Incroyable peuple Juif, tant discriminé, ostracisé, déporté, exterminé au fil des millénaires…au point que j’ai osé le déclarer « Race Supérieure » (curieux retour de bâton) sur un site internet de Ouest France qui, bien entendu n’a pas difusé mon commentaire…Bien pensance oblige.