Une intrigue resserrée, une tension jusqu’à l’étouffement
L’écriture opère un resserrement radical : fini le kaléidoscope d’opérations parallèles, place à un seul fil rouge, la libération de Sab (Nina Meurisse), tireuse d’élite du Groupe 45 enlevée par l’État islamique. Cette ligne claire agit comme un compte à rebours ; chaque épisode avance d’un pas inexorable vers une extraction que l’on pressent coûteuse. La claque émotionnelle est immédiate : Sab, absente physiquement mais centrale, est à la fois otage et boussole morale. L’opération devient affaire de famille, rien de moins qu’un pacte de sang.
Le réalisateur Frédéric Jardin (Braquo, Engrenages) reprend le flambeau de Ziad Doueiri et imprime sa patte : caméra proche des corps, lumière âpre, action laconique. Loin de la pyrotechnie hollywoodienne, les rafales sont rares, souvent hors champ, et chaque détonation compte. Lorsque la violence surgit, elle coupe le souffle.
Le retour d’un casting de choc – clin d’œil à l’école Braquo
Côté distribution, on retrouve avec jubilation Nicolas Duvauchelle, massif et fragile comme un roc fissuré, à la tête de ce Commando 45 qui réapprend à respirer après la mort d’Olivier. Marie Dompnier, Thierry Godard, Jérémy Nadeau et Victor Pontecorvo composent un chœur de soldats fatigués, hantés par leurs fantômes mais debout. L’ombre de Braquo plane : le goût du réalisme, la parole rare, la fraternité rugueuse sont toujours là, sans recyclage servile.
Nina Meurisse, prisonnière d’une cellule torride, livre une performance toute en silences, en regards, en sueur contenue. On pense à Claire Danes dans Homeland… débarrassée du surjeu. Mention spéciale à Patrick Mille, nouvel arrivant envoyé par la DGSE, dont la froideur technocratique électrise chaque scène.
Tournage au Maroc, conseil technique d’anciens des forces spéciales, décor crépusculaire de Mossoul dévastée : la production ne triche pas. Le soin apporté aux détails – signal radio, jargon, munitions – vient servir des enjeux dramatiques limpides : qu’est-ce qu’on sacrifie pour un frère d’armes ? Qu’est-ce qui reste quand l’exfiltration réussit mais que le prix humain dépasse la victoire ?
Le final laisse un goût de cendre. Victoire tactique, défaite intime : le cœur noir du titre n’a jamais mieux résonné.
Officiellement, rien n’est signé pour une saison 3. Les comédiens se disent satisfaits de la boucle bouclée ; le réalisateur, lui, concède qu’un nouveau chapitre serait légitime. On peine à croire qu’Amazon Prime laissera filer une des rares séries françaises capables de rivaliser, en intensité et en finition, avec ses homologues anglo-saxonnes
Oui, Cœurs noirs honore le drapeau du cinéma – ou plutôt de la série – française. À l’heure où nos fictions sombrent trop souvent dans la tiédeur (ou bien la nullité absolue) la série offre un spectacle qui ne renie pas sa langue, ni ses moyens, ni son ambition. Pour une fois, célébrons-le.
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