Par un mercredi de fin mai, quelque part entre Piazzola sul Brenta et les hauteurs glacées de San Valentino, le Giro a perdu la raison. Et dans ce délire délicieux que seul le Tour d’Italie sait encore offrir à ses fidèles, les cyclistes ont renoué avec une tradition ancestrale : se battre, tout donner, tout perdre. L’étape 16 n’a pas simplement écrit une page du Giro. Elle a déchiré le livre, rédigé le sien au cutter, et l’a signé à l’encre des crampes et des rêves qui vacillent.
Scaroni, Fortunato, et l’Italie réveille l’écho des sommets
Sous les averses épaisses comme un péché de jeunesse, Christian Scaroni, 27 ans, est allé cueillir la gloire au sommet du Passo di San Valentino. En duo avec son frère de route Lorenzo Fortunato, il a signé le premier doublé italien sur ce Giro 2025. On les a vus franchir la ligne comme on entre dans une cathédrale : ensemble, lumineux, résolus. Une communion laïque, offerte au pays du vin, du vent et des virages en épingle.
Mais que Scaroni lève les bras n’est pas ce qui fera vibrer les carnets. Ce sont les crevasses ouvertes dans le général, les masques qui tombent, les reines déchues : Primoz Roglic au tapis, Juan Ayuso noyé dans ses 15 minutes de retard, et Isaac Del Toro, le maillot rose, qui a vacillé, flanché, mais n’a pas cédé.
Carapaz et Yates : le retour des revenants
Le Giro, c’est aussi cette étrange chose qui ressuscite les anciens combattants. Richard Carapaz, l’Équatorien au regard d’altiplano, a lancé l’assaut à 7 kilomètres de l’arrivée. Une attaque sèche, brutale, sans artifice. Simon Yates, le flegmatique britannique, lui a emboîté le pas un peu plus tard, avec ce grain de classe qui fait pardonner sa régularité en pointillés.
À l’arrivée, le général est devenu un champ de ruines ordonné : Del Toro en rose, mais avec 26 secondes de marge sur Yates, 31 sur Carapaz. Trois hommes en trente secondes : le Giro 2025 s’annonce jusqu’à Rome comme une chasse à l’homme de haute volée.
Et les Belges, toujours les Belges ! Trois d’entre eux se sont encore glissés à l’avant : Van Aert, Moniquet, De Bondt. Même quand ils ne gagnent pas, ils construisent la légende, eux aussi.
Le Giro, ce tour qui n’en finit plus de nous plaire
À ceux qui ne jurent que par le Tour de France, ce Giro rappelle chaque jour qu’il est le dernier des grands tours romantiques. Celui où l’on attaque à 70 kilomètres de l’arrivée, où l’échappée est une chanson de geste, où le peloton a parfois l’odeur d’un vieux roman populaire. Ici, on court pour le panache, pas pour les watts. Et c’est pour cela qu’on regarde.
Le Giro, c’est un air de Fausto Coppi chanté par des garçons du XXIe siècle, des jambes rasées et des capteurs de puissance, mais des cœurs encore prêts à éclater pour une victoire dans un hameau perché.
Et maintenant, le Mortirolo…
Ce mercredi 28 mai, la 17e étape sera un nouveau morceau d’opéra. Au départ de San Michele all’Adige, les coureurs s’élanceront pour 155 kilomètres jusqu’à Bormio, via les enfers : le Passo del Tonale, le redouté Mortirolo, et une fin de parcours sinueuse et tactique.
Le Mortirolo, ce monstre qui fait parler les vélos et taire les champions, sera le juge de paix. Pas de montée finale, mais un terrain d’embuscade : les 40 derniers kilomètres laisseront place aux audacieux. On attend Bardet, le sage devenu chasseur. On attend Frigo, Plapp, Konrad, Van Aert… Et on espère que le Giro poursuive sa douce folie.
Car cette course n’est plus seulement ouverte : elle est devenue lyrique. Chaque jour peut briser un favori, élever un inconnu, ou faire renaître un héros. C’est l’Italie du cyclisme, c’est la grâce dans le chaos.
Et jusqu’à Rome, rien ne sera joué. Rien ne devra l’être.
YV
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