Une étude universitaire éclaire les relations complexes entre les Bretons et les armes à feu sous l’Ancien Régime, entre usage quotidien, symbolique sociale, et contrôle par l’État.
Sous l’Ancien Régime, la Bretagne n’était pas une terre désarmée. L’étude universitaire réalisée par Anne-Claude Ambroise-Rendu à l’université Rennes 2 revient sur une réalité largement méconnue : la présence massive des armes dans la société bretonne d’avant la Révolution française. Loin des représentations d’un peuple rural passif, les Bretons, nobles comme roturiers, portaient, possédaient et utilisaient des armes – principalement des fusils – dans un cadre à la fois utilitaire, défensif et symbolique.
Une possession largement répandue
L’étude se base notamment sur les archives judiciaires, militaires et fiscales pour démontrer que la possession d’armes à feu était généralisée, y compris parmi les paysans. Le fusil était à la fois un outil de chasse, un moyen de protection personnelle, et un symbole d’autonomie. Dans certaines paroisses, jusqu’à un homme sur trois pouvait être armé, et les inventaires après décès témoignent régulièrement de la présence d’un « fusil de chasse » ou d’un « vieux mousquet » dans les maisons.
Pour la noblesse bretonne, les armes tenaient une place centrale dans l’affirmation du rang social. Porter l’épée ou manier le fusil participait d’un honneur ancestral, enraciné dans la tradition militaire et féodale de la région. Les gentilshommes de Cornouaille ou du Léon, souvent membres de compagnies franches ou de la garde nationale en devenir, s’entraînaient au tir ou à l’escrime, conservant ainsi une fonction martiale même en temps de paix.
Une méfiance croissante du pouvoir royal
Face à cette prolifération, l’administration royale a progressivement renforcé les mesures de contrôle. Dès le XVIIe siècle, plusieurs édits cherchèrent à limiter la circulation des armes, notamment chez les roturiers, par crainte de révoltes ou de violences locales. L’étude rappelle que ces restrictions étaient souvent peu suivies d’effet en Bretagne, où l’attachement aux libertés locales restait fort et où la contrebande d’armes prospérait notamment le long du littoral.
Les archives judiciaires prouvent aussi que l’arme à feu n’était pas seulement un attribut symbolique. Elle intervenait régulièrement dans des conflits de voisinage, des rixes, ou encore des affaires de braconnage. La frontière entre légitime défense et usage abusif de la violence était parfois ténue. Dans bien des cas, le juge local devait trancher entre tradition locale et loi royale.
Une culture populaire des armes
L’étude met enfin en lumière l’existence d’une véritable culture populaire des armes en Bretagne. Celle-ci passait par la transmission familiale d’un fusil, les concours de tir lors des pardons ou des foires, ou encore les récits populaires où le héros breton n’est jamais sans sa pétoire. Cette culture, selon l’auteur, explique en partie la participation active de nombreux Bretons aux soulèvements révolutionnaires, royalistes comme républicains, dans les décennies suivantes.
Cette recherche universitaire rigoureuse, fondée sur une exploitation minutieuse des archives départementales, contribue à revaloriser une dimension essentielle de l’histoire bretonne. Loin d’une vision pacifiée et folklorisée, elle montre une Bretagne armée, ancrée dans ses traditions mais aussi traversée par les tensions de la centralisation monarchique.
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