Et si un roman pouvait réveiller chez les jeunes une passion durable pour la lecture ? Depuis vingt ans, la série L’Épouvanteur de Joseph Delaney parvient à le faire avec une rare efficacité.
Avec treize tomes principaux, une trilogie dérivée (The Starblade Chronicles), plusieurs recueils de nouvelles et un récent spin-off (Frère Wulf), L’Épouvanteur s’est imposée comme l’un des piliers de la littérature jeunesse fantastique. Publiée en France chez Bayard Jeunesse, cette saga dark fantasy séduit un public adolescent toujours plus large, conquis par son atmosphère envoûtante, ses personnages nuancés et son art de raconter la peur avec intelligence.
Entre folklore et ténèbres : un monde captivant
L’intrigue se déroule dans un comté fictif fortement inspiré du nord de l’Angleterre, où les créatures issues du folklore européen – sorcières, gobelins, spectres – rôdent dans les campagnes. Thomas Ward, un garçon de treize ans, est choisi pour devenir l’apprenti d’un “épouvanteur”, chargé de défendre les hommes contre les forces de l’Obscur.
Joseph Delaney puise dans les légendes celtiques et les mythes antiques (comme les sorcières lamias) pour bâtir un univers riche et cohérent. Chaque lieu – qu’il s’agisse de la tour des sorcières Malkin ou de la maison hantée de Chipenden – possède une atmosphère propre, renforcée par des descriptions soignées et des références à des sites bien réels.
Une quête de soi déguisée en récit d’épouvante
Sous ses allures de roman fantastique, L’Épouvanteur est avant tout une grande fresque initiatique. Tom, confronté très tôt au doute, à la peur, à la trahison et au mal, doit apprendre à faire des choix, parfois douloureux. Loin des stéréotypes manichéens, Delaney montre un monde complexe où les frontières entre le bien et le mal sont mouvantes.
Des figures marquantes comme Alice Deane, sorcière ambivalente et loyale alliée, ou Grimalkin, tueuse implacable aux allures de justicière, offrent aux adolescents des modèles de réflexion sur la morale, la liberté et la responsabilité. Le héros n’est pas un surhomme : c’est un garçon qui doute, qui trébuche, mais qui progresse. Et cela, les jeunes lecteurs s’y reconnaissent.
Un tremplin vers la lecture pour les plus réticents
C’est là l’une des grandes forces de la saga : rendre la lecture accessible sans sacrifier l’ambition. Chapitres courts, rythme soutenu, style direct… Delaney capte l’attention dès la première page. Même les adolescents peu enclins à ouvrir un roman s’y laissent prendre, séduits par l’avertissement de la couverture : “Attention ! Histoire à ne pas lire la nuit…”
Les tomes peuvent se lire indépendamment tout en formant une trame globale, ce qui permet une lecture souple, sans pression. Et les illustrations sombres, signées David Wyatt ou David Frankland, ajoutent un attrait graphique qui nourrit l’imaginaire.
Au fil des tomes, L’Épouvanteur gagne en densité : les enjeux deviennent plus vastes, les batailles plus épiques, les dilemmes moraux plus aigus. Ce sont les lecteurs eux-mêmes qui grandissent avec la série. La trilogie The Starblade Chronicles prolonge cette évolution, tandis que l’arrivée de Jenny, première apprentie fille, dans les derniers tomes, insuffle un vent de nouveauté bienvenu.
La conclusion, parue en avril 2024 avec Frère Wulf : L’Avènement de l’Obscur, clôt en beauté une œuvre littéraire désormais considérée comme classique. Un cycle s’achève, mais l’univers de Delaney, lui, continue d’habiter les esprits.
À l’heure où les écrans absorbent l’attention des plus jeunes, L’Épouvanteur rappelle le pouvoir intact des mots et des histoires. En mêlant frisson, émotion et réflexion, la saga joue pleinement son rôle de passeur : celui de transformer des adolescents curieux en lecteurs passionnés.
Et comme le disait Joseph Delaney lui-même, dans une formule qui résume parfaitement l’esprit de la série : « Un épouvanteur n’a jamais vraiment fini son travail… et un bon livre non plus. »