Alexandre Avril ou le songe solognot d’une droite illibérale

Il y a des noms qui surgissent dans le bruit de fond de la politique contemporaine comme une note tenue, claire, inattendue. Le 6 juin 2025, dans le marigot tiède des publications politiques sur X, un post d’Alexandre Avril a sifflé comme un ricochet. Le maire de Salbris y saluait avec une rigueur presque professorale les Trump Accounts — ces comptes d’épargne défiscalisés pour les ménages américains — en suggérant leur transposition, adaptée au génie français. Ce n’était pas tant le propos, ni même son inspiration étrangère, qui surprenait : c’était le ton. Mesuré, pédagogique, stratégique. À mille lieues des sarcasmes et polémiques dont il s’est fait, jusque-là, une spécialité.

Il fallait bien cette retenue, disons girardienne, pour oser une audace aussi assumée. Car en saluant Donald Trump, même sous le prétexte d’une innovation fiscale, Avril s’alignait — ou feignait de s’aligner — sur une droite mondiale qui ne craint plus d’être qualifiée d’illibérale. Cela, dans une France qui se veut encore, bon an mal an, gardienne des Lumières, est un acte signifiant. Non qu’il se réclame de cette droite américaine tapageuse et volontiers caricaturale, mais parce qu’il en capte certains signaux faibles : retour à l’ordre, recentrage sur la classe moyenne, exaltation d’un ancrage identitaire. Le doctrinaire devenait stratège. Le polémiste, pédagogue. Il ne reniait rien, mais il composait. Et c’est là, peut-être, le signe qu’il n’est pas seulement une météore, mais une comète.

Il est des vocations qui naissent dans le tumulte des amphithéâtres, d’autres dans la moiteur des cabinets ministériels. Et puis il y a celles, plus rares, plus obstinées, qui prennent racine très tôt, à l’âge où l’on n’a encore qu’un duvet hésitant sous le nez. Alexandre Avril rêvait d’être maire de Salbris depuis ses premiers poils de barbe. Tandis que d’autres se projetaient astronautes ou rockeurs, lui se voyait en édile républicain, drapé de la légitimité municipale, régnant sur les pins, les étangs et les silences de Sologne. Ce n’est pas là coquetterie tardive mais pulsion fondatrice, rêve d’enfant devenu projet d’homme.

Son ascension aurait pu inspirer un péan à un poète, ou une hagiographie à un nègre littéraire si elle n’était, par moments, hérissée de ces angles saillants qui inquiètent la presse locale et font blêmir les syndicats et les tristes cortèges des gauchistes des champs. À 28 ans, il arrache la mairie de Salbris avec une liste indépendante, conquérant le terrain qu’il n’avait jamais cessé de considérer comme sien. Dès lors, le rythme s’accélère : président de communauté de communes, conseiller régional, patron des Républicains du Loir-et-Cher. Il avance vite, parfois trop vite pour un paysage politique alangui.

Éric Ciotti, flairant le potentiel d’une telle figure, lui a offert l’ascenseur politique de l’Union de la droite pour la République. Vice-président du parti depuis 2024, Alexandre Avril accède aux plateaux télévisés, à la reconnaissance médiatique — et aux critiques affûtées. Car il ne compose guère. Ses déclarations sur l’immigration, après le meurtre de Matisse Marchais, ont fait frémir la gauche et une partie du centre mou : « L’immigration tue, chaque jour et désormais partout ». La presse locale, rédigée par des localiers dont le gauchisme sourd ininterrompu de leur plume, peu habituée à ce type de discours, crie au populisme. Lui maintient une ligne de crête entre provocation tactique et conviction sincère. Une droite du réel, qui s’assume.

Il y a dans la trajectoire d’Alexandre Avril quelque chose d’archétypal, presque romanesque. Né à Romorantin, enraciné à Salbris comme un chêne dans la glaise solognote, il a grandi entre la comptabilité paternelle et les handicaps que sa mère accompagnait. Il y a chez lui une nostalgie du concret, du local, du monde d’avant la liquéfaction sociale. Ses ancêtres tenaient une librairie, le Bazar de Sologne, et lui-même, en entrepreneur inspiré, a multiplié les créations de boutiques de livres. Ce n’est pas un politicien hors-sol, mais un stratège enraciné, qui a choisi sa mairie comme d’autres choisissent leur fief. Une France périphérique, travailleuse et oubliée, à laquelle il rend hommage en paroles comme en actes. Il y a du Barrès chez cet homme-là, non dans la doctrine mais dans l’intuition charnelle du sol.

Pourtant, ce Solognot enraciné a suivi les sentiers les plus escarpés de l’excellence académique. Hypokhâgne, khâgne, double admission HEC–École normale supérieure, et enfin, soutenance d’une thèse en philosophie sur Nietzsche et René Girard, Le Sens de la Distance. Peu de maires de sous-préfecture peuvent en dire autant. Peu aussi sont capables d’expliquer, sans vaciller, la notion girardienne de désir mimétique ou le pathos de la distance chez Nietzsche. Il est ce qu’on appelle, dans les dîners républicains, un homme dangereux : parce qu’il sait.

Et c’est précisément ce savoir, quand il descend dans l’arène, qui peut blesser. Il parle net, tranche dru. À l’ère du consensus chancelant, il assume le dissensus frontal. Salbris, capitale de la chasse, ville sinistrée, est devenue le laboratoire de ses idées : fêtes identitaires, école hors contrat, redynamisation économique aux accents souverainistes. Le maire n’hésite pas à puiser dans le modèle du Puy du Fou, avec une intuition girardienne du besoin d’histoires fondatrices. Ses positions sur l’immigration, la laïcité, ou l’homosexualité à l’école font bondir les syndicats et les éditorialistes de la presse bien-pensante. Il choque, parfois à dessein. Les gauchistes l’exècrent, les conservateurs l’admirent, les libéraux le soupçonnent, les journalistes le guettent. Il a le cuir épais, mais le verbe tranchant.

Il y a dans sa posture un refus de la mollesse centriste, une volonté de rompre avec ce que Guillaume Faye appelait l’idéologie humanitariste-marchande. Alexandre Avril, sans en reprendre les mots, en épouse le diagnostic. Il croit à la frontière, au sol, à l’identité. Il admire l’Amérique quand elle est efficace, pas quand elle se pavane en drag-queen au Capitole. Il lit Nietzsche pour penser l’ordre, pas pour l’ébranler. Sa droite est une droite d’action, d’incarnation, de combat. Elle n’est pas « illibérale » au sens polonais ou hongrois, mais elle interroge frontalement le libéralisme comme religion d’État.

Son apparence physique ne dément pas cette tension intérieure : jeune, athlétique, cheveu un peu trop long — signe d’un tempérament qui goûte les limites, sans les abolir. Ma non troppo, dirait un chef d’orchestre. Sa barbe bien taillée, lui confère ce charme grave que les femmes de plus de trente-cinq ans ne détestent pas. Il a tout du héros tragique, à la fois sûr de son pas et habité par une faille : celle d’une intelligence qui blesse, d’un tempérament qui brusque. Tout Achille a sa Briséis. Heureusement, Alexandre a trouvé la sienne et a su la garder.

Reste à savoir si ce jeune Solognot incarne une droite nouvelle ou simplement une variation locale de l’air du temps. Est-il le pionnier d’un conservatisme français d’inspiration européenne, enraciné et assumé ? Ou bien un météore de plus, dont la trajectoire brillante s’éteindra faute d’alliés ? Quoi qu’il en soit, dans une époque lassée de l’insipide, la figure d’Alexandre Avril, avec sa distance nietzschéenne et son goût du réel, ne laisse pas indifférent.

Balbino Katz — chroniqueur des vents et des marées —

Crédit photo : DR
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2 réponses à “Alexandre Avril ou le songe solognot d’une droite illibérale”

  1. JLP dit :

    Bon, résumons : Bambino n’aime pas Tanguy, en revanche il a un faible pour Avril.

  2. gaudete dit :

    Vu ce portrait , on comprend vu aussi les compétences de ce monsieur

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