Le 11 juin dernier, dans une Chambre des communes aux bancs clairsemés, s’est joué un épisode au goût de cendre froide, que seuls les esprits attentifs auront perçu. Dans ce théâtre usé où l’on feint encore de légiférer, un homme — Nick Timothy — osa rappeler, contre vents et clameurs, qu’il fut un temps où l’Angleterre n’avait pas peur de ses mots. L’affaire, rapportée avec la rigueur d’un clerc et le feu d’un pamphlétaire par Richard North dans son blog Turbulent Times, mérite que nous y revenions, tant elle dit ce que nous sommes devenus.
Le projet de Timothy porte pour nom : Freedom of Expression (Religion or Belief System). Nom austère, presque clérical, mais le propos, lui, est de haute voltige. En peu de mots, il déclara ne croire ni à la prophétie de Mahomet, ni aux injonctions de l’ange Gabriel, ni à l’autorité de la Sunna. Et ce faisant, il franchissait, en conscience, une ligne que l’État moderne, engourdi par sa propre lâcheté, n’ose plus toucher. Car dans l’Angleterre contemporaine, le simple fait d’exprimer pareille opinion peut valoir poursuite, réprobation, exil intérieur.
On voudrait croire à un sursaut, un réveil tardif, une secousse dans le coma moral britannique. Richard North, d’un ton calme et glacial, rappelle que la loi de 1986, censée s’appliquer aux hooligans des stades et aux fauteurs d’émeutes urbaines, est aujourd’hui instrumentalisée pour rétablir — sans le dire — un délit de blasphème. Ce ne sont plus les évêques qui grondent, mais les fonctionnaires. L’intolérance a changé de masque, non de méthode.
Ce que Timothy réclame n’est point l’irrespect, mais l’égalité. Qu’on moque Jésus, Krishna ou Mahomet — mais qu’on le fasse sans risquer la prison pour l’un et les lauriers pour l’autre. Que la loi cesse de trembler devant les plus vindicatifs, et que le citoyen paisible ne soit plus sacrifié à la foule menaçante. Comme le note North, la section 29J du Public Order Act, garante de la liberté de critique religieuse, n’est d’application que partielle. Elle n’atteint point les articles 4 et 5, aujourd’hui utilisés comme massue contre ceux qui déplaisent aux muezzins du politiquement correct.
Il y a là un renversement subtil mais décisif : ce n’est plus l’auteur des paroles qui est jugé, mais la susceptibilité de celui qui les reçoit. La loi punit non le crime, mais l’émotion. C’est là, disait peut-être Spengler s’il avait connu nos temps, le passage de la justice virile au ressentiment infantile.
North rappelle les étapes de cette déchéance : The Satanic Verses, Rushdie, la fatwa, puis l’habitude prise de se taire. L’habitude, oui, car il s’agit d’une discipline d’esclave, apprise à force de courbettes. Dans ce climat délétère, un professeur de Batley vit caché pour avoir montré une image. On appelle cela désormais : éducation inclusive.
Dans les rues de Ballymena, ce ne sont plus les anciennes émeutes orangistes qui grondent, mais une nouvelle forme de colère, inarticulée, brute, que les autorités qualifient aussitôt de raciste, sans jamais s’interroger sur les causes profondes. Le viol d’une jeune fille par des étrangers ? Un fait divers. La colère des autochtones ? Une menace pour la démocratie.
Richard North ne s’en cache pas : ce projet de loi est une ligne dans le sable. Ceux qui la franchiront sauront, et les autres seront complices. On a vu jadis, en d’autres siècles, des rois trancher des nœuds gordiens. Il reste aujourd’hui à Westminster des notaires qui rédigent des lois pour que la parole ne meure pas sous la capuche du fanatique ou le rictus du procureur.
On cite parfois, à contresens, ce vers de Hölderlin — « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve ». Il ne figure pas dans le propos de Richard North, mais il sied à cette heure grave comme un écho ancien. Encore faut-il ne pas l’entendre comme une consolation facile, mais comme une exigence. Car c’est de poésie, de verticalité, de silence de pierre et de souffle ancien que le politique manque, et non de maximes.
Il appartiendra donc aux Communes, le 11 juillet, de dire si ce royaume est encore capable de défendre la liberté contre la peur, l’individu contre le groupe, et la parole contre l’intimidation. Ce n’est point affaire de procédure, mais de destin. À Westminster, ce jour-là, on ne débattra pas seulement d’un amendement, mais d’un seuil de civilisation.
Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées
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Une réponse à “Le retour rampant du blasphème : Richard North et la liberté d’expression à Westminster”
Comment définir le blasphème ?
« Je crois qu’il s’agit avant tout d’un formidable aveu de faiblesse de la part des adorateurs de Dieu. En effet, si celui-ci était réellement comme on le prétend, le grand principe organisateur du monde, le blasphème serait impensable. Autrement dit, dans un langage un peu plus vert, si vous dites au soleil qu’il est un con, il n’en sera même pas affecté, il est déjà très au-dessus de ça…C’est avant tout parce que le Dieu unique est un être anthropomorphique, c’est-à-dire conçu par l’homme à son image, qu’il est réputé sensible aux blasphèmes des hommes…
…Ou bien Dieu existe et il n’a rien de commun avec ce vieillard grognon et infantile qu’on nous présente, et par conséquent le blasphème n’a aucune importance ; ou bien Dieu est vraiment ce vieillard infantile et grognon, et alors le blasphème devient presque un devoir philosophique ! »
(Le devoir de blasphème – Pierre Gripari)