Dans un contexte d’effacement culturel croissant des identités enracinées, une dynamique inverse prend forme outre-Manche : les sports traditionnels irlandais, comme le hurling ou le football gaélique, connaissent une ascension fulgurante dans les écoles britanniques — y compris chez les enfants sans aucune origine irlandaise.
C’est Keith Jackman, originaire du comté de Carlow et cousin de l’ancien international de rugby Bernard Jackman, qui porte cette révolution tranquille dans le comté d’Hertfordshire, au nord de Londres. En charge du développement communautaire pour la GAA (Gaelic Athletic Association), il sillonne les écoles pour intégrer ces sports dans les programmes d’éducation physique.
« J’ai travaillé cette année avec plus de 3 000 enfants dans 31 établissements d’Hertfordshire. Plus de 60 % d’entre eux ne viennent pas de familles irlandaises », affirme-t-il.
Un sport inclusif qui séduit au-delà des frontières
Loin d’être réservé aux écoles catholiques fréquentées par la diaspora, le football gaélique séduit des établissements laïques à la recherche de nouvelles offres sportives. « Les enfants qui ne sont pas sélectionnés pour les sports traditionnels britanniques trouvent leur place dans nos équipes », explique Jackman. La règle des matchs en 10 contre 10 (six garçons, quatre filles) favorise également la mixité et l’inclusion.
Facile à comprendre, ludique, dynamique, le football gaélique attire. Et avec lui, la camogie (version féminine du hurling) et le hurling lui-même, ce sport spectaculaire souvent qualifié de “plus rapide du monde sur gazon”. Les enseignants reçoivent une formation initiale pour pouvoir encadrer les élèves, tandis que les enfants reçoivent un certificat en fin de cycle de six semaines.
En quatre ans, la participation des jeunes aux sports gaéliques au Royaume-Uni a bondi de 28 %. Rien qu’à Londres, ils étaient près de 2 000 jeunes joueurs en 2024. Et les clubs, autrefois réservés aux Irlandais de première ou deuxième génération, accueillent désormais des jeunes de toutes origines.
La demande est telle que les écoles doivent désormais s’inscrire sur liste d’attente pour bénéficier du programme de Jackman. Prochaine étape pour certains d’entre eux : participer au prestigieux tournoi John West Féile Peile na nÓg, véritable “coupe d’Irlande” pour les moins de 15 ans, où les équipes d’Hertfordshire affronteront leurs homologues d’Irlande fin juin à Derry.
Un levier d’enracinement pour les communautés
Les sports gaéliques ne sont pas que des jeux. Ils véhiculent un lien charnel avec la culture et l’histoire de l’Irlande. Voir ces disciplines essaimer dans les écoles britanniques, y compris dans les zones urbaines sans héritage gaélique, traduit un besoin profond de racines, de repères et de collectif dans une jeunesse souvent déracinée.
C’est dans cette perspective que les programmes d’inclusion tels que GAA For All, prévus pour l’an prochain dans le centre d’entraînement de Watford FC, prennent tout leur sens. De même, le prestigieux Hazelwood Centre de Londres (utilisé par les London Irish et Brentford FC) accueille déjà des équipes de jeunes pratiquant camogie et hurling.
Ce mouvement, encore discret dans les médias, pourrait bien modifier à long terme le paysage éducatif et sportif britannique. Il montre que l’identité irlandaise, loin de s’étioler, peut aussi rayonner hors de ses frontières par ses traditions sportives, sans prosélytisme, mais avec un sens aigu de la transmission.
Et dans une époque où tant de cultures enracinées sont moquées ou dissoutes, voir le hurling ou le football gaélique séduire des enfants de tous horizons est, en soi, un petit acte de résistance.
Photo d’illustration : DR
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