La pub contre-attaque : vers le crépuscule du marketing militant ?

Il arrive parfois que la marée tourne, qu’un reflux discret mais inexorable emporte avec lui les certitudes de la veille. Le monde feutré, souvent insignifiant à force de convenu, de la publicité anglo-saxonne, pourrait bien être en train de vivre une telle inflexion. C’est du moins ce que laisse entendre Daniel Thomas dans un article éclairant publié dans le Financial Times, décrivant, depuis les coulisses du Super Bowl et des boardrooms, les premiers soubresauts d’un changement de paradigme. La publicité américaine, autrefois fer de lance de la morale progressiste, se mettrait soudain à reculer, à se figer, voire à rougir de ses audaces passées. On murmure désormais dans les agences que l’époque du purpose marketing — cette manie de vouloir vendre des idées sociétales en même temps que des shampoings — serait peut-être révolue.

Lors du dernier Super Bowl, événement cathodique majeur de l’année américaine, les spectateurs ont eu la surprise de voir ressurgir les fantasmes visuels d’une époque supposément révolue : des femmes légèrement vêtues vantant les hamburgers de Carl’s Jr, des hommes hilares grésillant des steaks pour une lawn party typiquement banlieusarde, et des bières Bud Light évacuant discrètement leur calamiteuse mésaventure avec une influenceuse transgenre en 2023. Après avoir passé des années à parsemer leurs campagnes de mots d’ordre tels que diversity, equity, inclusion, les grands groupes internationaux semblent désormais vouloir amadouer l’Amérique de Trump — ou, à tout le moins, cesser de la provoquer.

Une rumeur tenace parcourt Madison Avenue : des idées de spots publicitaires favorables aux minorités sexuelles ou raciales sont désormais rejetées avant même d’avoir été peaufinées. L’un des responsables interrogés confie, sous couvert d’anonymat, que « de nombreuses idées pro-LGBT ou favorables à la communauté noire ont été retirées à cause du contexte politique actuel ». La réémergence de Donald Trump, spectre omniprésent des prochaines élections, ferait trembler les conseils d’administration autant que les studios de création. Le spectre d’actions judiciaires contre les politiques DEI (diversity, equity, inclusion) plane, tel un couperet suspendu au-dessus des marques trop zélées.

Ce climat d’angoisse, Daniel Thomas le décrit à travers une série d’exemples édifiants : la chaîne Steak ’n Shake sponsorisant une conférence sur le bitcoin, appelant de ses vœux les conducteurs de Cybertruck, et mettant à l’honneur Robert Kennedy Jr, Secrétaire à la Santé et figure de la droite alternative. On assiste à un phénomène de repli, une crispation générale où le moindre message est scruté, disséqué, et souvent censuré par avance. Certaines entreprises, comme IBM, ont fini par adopter une politique de « neutralité des points de vue » dans leur communication, une expression curieuse, presque orwellienne, qui révèle surtout le désir d’éviter la confrontation.

Il y aurait là, pour qui veut bien le voir, l’amorce d’un retournement. La publicité, cette grande prêtresse des temps modernes, commence à douter de sa mission évangélique. Jadis conquérante, elle cherche aujourd’hui à se faire discrète. Comme le note Flora Joll, stratégiste à Londres, « les guerres wokistes sont arrivées plus tard ici qu’aux États-Unis, mais elles commencent à faire sentir leurs effets ». L’annonce d’une récession possible accentue le mouvement : les budgets se resserrent, les marques veulent vendre, pas prêcher.

L’expression désormais célèbre aux États-Unis, « Go woke, go broke », semble avoir trouvé un écho. Il ne s’agit pas là d’un slogan, mais d’un constat empirique : à force de multiplier les campagnes remplies de bons sentiments, mais souvent déconnectées de leur public réel, certaines entreprises ont vu fondre leurs parts de marché. Le retrait de Mastercard des marches de la Pride new-yorkaise, les hésitations de BarkBox, les revers de Target ou les boycotts organisés par la People’s Union USA ne sont pas des anecdotes isolées, mais les signes avant-coureurs d’un réel changement de cap.

La chose pourrait paraître anodine. Qu’importe au fond que l’on remplace un spot pro-LGBT par une réclame sur les joies du barbecue ? Pourtant, sous cette apparente futilité, se cache une question brûlante : à qui appartient la parole publique ? À l’annonceur ou au militant ? À l’acheteur ou au clerc ? Dans l’ancien monde, la publicité s’adressait à tous — elle visait le consensus. Aujourd’hui, elle doit choisir son camp. Ce que confirme le PDG de l’agence FCB : « il n’est plus possible d’ignorer la perspective politique des audiences ciblées. » Le marketing devient une arme, la publicité un champ de bataille.

On songerait presque à Ernst Jünger, qui voyait dans toute époque de transition un combat entre le type organique et le type artificiel. Le créatif d’hier, porté par une intuition, une forme de sensibilité esthétique, est aujourd’hui remplacé par l’ingénieur social, formé dans les universités américaines et chargé d’implanter dans l’inconscient collectif les dogmes du jour. Il y a là une volonté, presque messianique, de substituer à la réalité vécue une représentation idéologique du monde. Familles mixtes, fluidité des genres, diversité permanente : autant d’images conçues non pour refléter le réel, mais pour le transformer, par saturation.

La publicité s’est donc retrouvée otage de la grande mutation anthropologique contemporaine. Il se pourrait qu’elle tente désormais de s’en libérer. En silence, en tâtonnant. Il serait hasardeux de crier victoire. Les festivaliers de Cannes Lions, la grand-messe de la réclame internationale, continuent de distribuer des prix aux campagnes militant pour l’inclusion. Mais sous les palmiers, on parle désormais davantage d’intelligence artificielle et de neutralité que de justice sociale. Un signe des temps, assurément.

Si l’Amérique éternue, l’Europe s’enrhume. Il y a fort à parier que ce mouvement de reflux gagnera tôt ou tard les rives de l’Hexagone. Les agences parisiennes, comme celle qui gère les publicités du Crédit mutuel, tout aussi déconnectées du pays réel que leurs homologues new-yorkaises, découvriront peut-être qu’on ne vend pas mieux du yaourt avec des sermons qu’avec de l’humour.

Balbino Katz — chroniqueur des vents et des marées —

Photo d’illustration : DR
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4 réponses à “La pub contre-attaque : vers le crépuscule du marketing militant ?”

  1. ALREN dit :

    C’est certain que « ce mouvement de reflux gagnera tôt ou tard les rives de l’Hexagone. ». Je pense que c’est déjà le cas et espérant que pour le mouvement culturel breton on ne soit pas en retard de phase par rapport à cette tendance. Il y a du pain sur la planche compte tenu des dégâts produits par les orientations militantes de l’EMSAV qui est restée attachée aux idéologies gauchistes des années 70. Si à cette époque, elles avaient un rôle émancipateur qu’il ne faut pas regretter, être progressiste au bon sens du terme, c’est de savoir changer quand ce qui semblait nous éclairer à une certaine époque ne le fait plus 50 années plus tard. C’est le sens des réalités qui doit nous éclairer et pas les idéologies qui ont donné les preuves de l’impasse où elles nous ont conduit.

  2. Pschitt dit :

    Fut un temps, dans les années 1970, où les agences de publicité étaient en quête de la plus grande efficacité sociale. Rompant avec la « réclame » des agences comme Publicis ou DDB s’attachaient à comprendre le public pour lui présenter au mieux les produits de leurs clients, avec beaucoup de créativité mais aussi beaucoup de technicité. Trop de publicitaires ont pris le melon et se sont imaginés non plus en vendeurs mais en intellectuels investis d’une mission sociale. Toujours manipulateurs, mais pour le « bien » et pas pour le fric. Quoique (bien) payés pour vendre des produits, ils cherchent à en profiter pour faire passer leurs idées. D’où la surreprésentation des « minorités visibles » dans la publicité télévisée. Je m’en étonnais voici quelques années auprès d’un jeune directeur artistique : « Cette présence n’indispose-t-elle pas un public hostile à l’immigration pour les deux tiers ? Ne pratiquez vous pas des tests A/B pour savoir si vos créations sont efficaces ? » Il m’a répondu : « On ne teste pas le politiquement correct ! » Si les publicitaires se remettent à chercher l’efficacité commerciale, leurs annonces devraient pas mal changer.

  3. sympathisant44 dit :

    @ Pschitt
    Ma femme et moi sommes toujours amusés par la présence des jeunes hommes d’origine africaine dans la publicité. Cela atteint son sommet dans les publicités pour les voitures : un couple est presque toujours constitué d’un Noir et d’une Blanche.
    Cela n’est sûrement pas imposé par la loi… les publicitaires ont peut-être fait des études qui montrent que ces couples améliorent les ventes….
    Ce choix flatte probablement les envies des populations d’origine africaine.

    Mais pourquoi y a-t-il aussi peu de couples composés d’un Blanc et d’une Noire ?
    Suggestion: les couples un Blanc + une Noire ne feraient pas beaucoup rêver les Blancs et ne valoriseraient pas les Noires (dans ces couples, image du mâle blanc qui s’offre un peu d’exotisme ?)

  4. Pierre dit :

    Merci Balbino Katz de cet excellent article. Il reste que la véritable liberté d’esprit nécessitera plus que ce retour de balancier, d’autant qu’on peut être certain que les forces « progressistes » feront tout pour que le balancier reparte plus loin et plus fort vers leurs buts idéologiques.

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