Il était écrit que ce samedi soir-là, au Stade de France, la pelouse ne verdirait plus sous les crampons, mais sous les pas des légendes. Qu’aucun homme ne ressortirait indemne de ce combat d’hommes, d’un rugby où l’on ne joue plus : on survit, on s’élève, on s’arrache. Que le Brennus, ce vieux disque de bois et de bronze, changerait de mains, ou bien s’y enfoncerait un peu plus. Il est resté là où il semble à jamais domicilié : à Toulouse.
Mais Bordeaux ne repart pas bredouille. Il repart couvert d’honneurs, de plaies, de larmes, de sueur et de promesses. Car pour perdre un tel match, encore faut-il l’avoir disputé. Et l’UBB, ce soir-là, a fait plus qu’exister : elle a frôlé l’extase.
Un ballet de fer et de foudre
À 33 partout, au terme de 80 minutes d’orgueil, de plaquages assassins, d’envolées aux frontières de la poésie, il fallait prolonger. La finale s’était changée en tragédie grecque où les héros se nommaient Ramos, Lucu, Willis, Penaud. Cent minutes de rugby. Cent minutes de furie. Cent minutes pour rappeler que ce sport-là est d’abord une affaire de cœurs cabossés et de muscles fidèles.
Ils sont entrés dans la lumière comme des boxeurs en procession. Maxime Lucu a frappé le premier, Thomas Ramos lui a répondu, comme s’ils rejouaient à la marelle à coups de pénalités, chacun dans son couloir de silence. Et puis le jeu s’est affolé. Des avants comme des déménageurs de cathédrales, des lignes arrière comme des éclairs. Toulouse frappe, Bordeaux répond. Les bûcherons rouge et noir construisent, Penaud détruit.
L’art de défendre sa couronne
À chaque essai, une réponse. À chaque tumulte, une résilience. Mais à ce jeu-là, Toulouse a une spécialité : celle de ne jamais mourir. Ce n’est pas une équipe, c’est une tradition. Un livre d’or qui s’écrit sans cesse. Un musée vivant du rugby.
Willis, l’Anglais à l’âme toulousaine, a martyrisé les lignes adverses avec une férocité de border collie lâché dans les maïs. Ramos, lui, a sorti le compas du génie, traçant des trajectoires parfaites entre les perches : 9 coups de pied, 9 œuvres d’art. À la 99e, il a scellé la finale comme on ferme un testament.
Bordeaux, roi sans couronne
Et pourtant. Bordeaux n’a pas démérité. Il a même frôlé le chef-d’œuvre. Jalibert a fait chanter le ballon. Petti a marqué, Penaud a surgit, Lucu a été un horloger suisse. Mais il manquait, pour franchir l’éternité, ce soupçon de sorcellerie qu’on appelle l’instinct toulousain.
« On nous promettait l’enfer, on a fait un match de dingues », dira Jelonch. C’était plus que ça. C’était un acte de foi.
On cherchait un successeur à 1985. On l’a trouvé. Cette finale, ce 39-33 au parfum de destin, restera gravé dans les esprits comme un hymne à ce que le rugby peut offrir de plus beau. Ce fut un match de clocher à clocher, une guerre de clochards célestes, un moment d’histoire écrit à la sueur et au sang.
Alors merci. Merci Toulouse pour votre fidélité au panache. Merci Bordeaux pour avoir osé défier l’ordre établi. Merci à ces cent minutes d’éternité où le monde ovale a retenu son souffle, avant de s’agenouiller devant un dieu nommé rugby.
YV
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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Une réponse à “Toulouse-UBB, au bout du rêve et du souffle : un Brennus d’éternité”
Toulousain toujours.