Il y a des étapes d’ouverture qui ont l’élégance d’un prologue et la douceur d’un prélude. Et puis il y a celles, comme ce samedi autour de Lille, qui vous rappellent que le Tour de France, c’est d’abord un champ de bataille déguisé en carte postale. Sous un ciel d’été, mais avec un vent de fin octobre, la Grande Boucle a frappé fort, creusé des écarts et révélé des fissures dans les cuirasses les plus brillantes.
Jasper Philipsen, lui, n’a pas vacillé. Le Belge a surgi des bordures comme un blé mûr balayé par l’orage, pour s’offrir, à 27 ans, son dixième bouquet sur le Tour et son premier maillot jaune. Le voilà désormais homme de collection : vert il y a deux ans, jaune aujourd’hui, et pourquoi pas, demain, le cœur du peloton conquis définitivement.
Une bordure, des ruines et des vaincus
À 17 kilomètres de l’arrivée, Visma-Lease a Bike, l’orchestre flamand du Tour, a décidé de jouer sa propre partition. Jonas Vingegaard en maestro, le vent en instrument. Remco Evenepoel, Primoz Roglic, Joao Almeida… autant de grands noms avalés par la cassure, relégués à 39 secondes d’un monde qui ne les attendra plus.
C’est l’ironie du sort et du cyclisme : la première étape est toujours annoncée comme un rodage, mais elle devient souvent une épuration. Deux abandons — Filippo Ganna et Stefan Bissegger, jetés au sol comme de simples galets — et déjà les regards changent. On se jauge, on se soupçonne, on comprend que ce Tour ne sera pas tendre.
Dans ce tumulte, Alpecin-Deceuninck a tiré son épingle du jeu avec une précision d’horloger suisse. Le Néerlandais van der Poel a mis le feu, Philipsen a récolté les cendres encore tièdes, devançant Girmay et Waerenskjold dans un sprint où l’instinct comptait autant que les jambes.
Côté français, Anthony Turgis s’est glissé dans la lumière (4e), bien flanqué par Clément Russo et Paul Penhoët. Trois tricolores dans le Top 10 de la première étape : il fallait remonter au siècle dernier pour voir pareille entame.
L’étape de dimanche : l’envol du Boulonnais
Mais déjà, la caravane se remet en marche. Ce dimanche 6 juillet, c’est une fresque en creux qui s’annonce : 209 kilomètres entre Lauwin-Planque et Boulogne-sur-Mer, et près de 2 000 mètres de dénivelé à avaler comme un verre de vin blanc trop sec. Le relief s’invite en fin d’étape, sous forme de raidards taquins et de chaussées resserrées. On ne sera plus dans le plat-pays, mais sur une côte d’Opale aux allures de montagnes russes.
Les équipes de puncheurs affûtent leurs lames. UAE-XRG pourrait bien déclencher l’orage dès Saint-Étienne-au-Mont (1 km à 10 %), tandis que Mathieu van der Poel lorgne déjà vers le dernier virage de Boulogne comme un félin sur sa proie. Tadej Pogacar, joueur de fléchettes et d’explosions brèves, pourrait profiter d’Outreau (800 m à 8.8 %) pour bondir. À moins que Remco Evenepoel, vexé, n’allume la mèche plus tôt encore.
Et Wout van Aert ? Lui, c’est le point d’interrogation qui plane comme un hélicoptère sur la course : il pourrait tout aussi bien embrasser la victoire que rentrer à l’hôtel la tête basse. Roglic, Vauquelin, Johannessen, Alaphilippe : les noms claquent comme des balles de ping-pong dans une salle en marbre. Tout est possible.
Ajoutez à cela un vent d’ouest à 25 km/h, des ronds-points malicieux, des terre-pleins centraux qui surgissent comme des vipères, et vous obtenez une étape piégeuse à souhait. L’itinéraire est ciselé pour les costauds au sang chaud, pas pour les suiveurs. Ceux qui voudront gagner devront le faire avec le cœur et les jambes, dans cet ordre-là.
Et si ce dimanche, sur les hauteurs de Boulogne, l’histoire du Tour se rejouait déjà ? Comme un rappel : sur cette épreuve, rien n’est jamais acquis, sauf l’imprévu.
YV
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