Hier, Jonathan Milan a lancé le week-end des cuissots avec force et panache, comme un sprinteur venu du néant des plaines lombardes pour rétablir l’honneur des fessiers hypertrophiés. Il a fendu la ligne d’arrivée de Laval avec la grâce d’un rhinocéros en tutu, bien calé dans le sillage d’un peloton qui avait préféré roupiller tout l’après-midi. Et pour cause : la sieste, samedi, était collective.
Une échappée molle et ardive – Vercher et Burgaudeau –, quelques ronds-points pour simuler la tactique, et un final aussi attendu qu’une déclaration de politique générale par un ministre sans portefeuille. On s’est quand même levé pour Milan, qui a remporté sa première étape du Tour, à 24 ans, sans complexe, mais avec des épaules de déménageur biélorusse. Wout Van Aert, encore en rodage, et Kaden Groves, toujours dans le sillage des autres, ont complété le podium pendant que Tim Merlier, piégé par une crevaison à douze bornes du but, testait les joies de la solitude à 56e place.
Dimanche 13 juillet – Chinon > Châteauroux : La messe sera dite, mais pas chantée
Ce dimanche, le Tour nous offre un nouvel épisode du roman de gare du sprint, entre Chinon et Châteauroux, dans un décor qui sent la belle campagne berrichonne, le saucisson maigre et la préfecture au sommeil profond. 174,1 kilomètres sans aspérité, où le plus grand danger reste le changement de direction au rond-point. À l’ombre des peupliers et au bord des champs de colza, on attendra que le vent souffle, ou pas, que les bordures s’ouvrent, ou pas, mais surtout que l’ennui s’installe, sûrement.
On parle pourtant de la “belle” entre Milan et Merlier, mais ce duel a des airs de partie d’échecs à l’ère de l’intelligence artificielle. Tout est calibré, chronométré, modélisé : à quelle heure l’échappée partira (km 23, sprint intermédiaire oblige), à quel kilomètre elle sera avalée (km 167, sans surprise), à quel moment Milan lancera son sprint (dans les 200 derniers mètres, comme prévu par le logiciel). Le vélo d’aujourd’hui, c’est un sport de tableur Excel.
On les regarde rouler, ces coureurs, les épaules basses et les jambes lasses, comme s’ils sortaient tous d’un congrès de l’URSSAF. Il faut les comprendre : face à l’ogre UAE de Pogacar, qui écrase la course au général à grands coups de science et de watts, qui fait rouler le peloton comme un troupeau de brebis, qui ose encore rêver ?
Les baroudeurs n’attaquent plus. Pas par paresse, non : par résignation. À quoi bon tenter le diable, quand le diable est sponsorisé par une pétromonarchie, conseillé par des bio-ingénieurs, et alimenté à la betterave moléculaire ? Mieux vaut rester sage, attendre que la journée passe, et espérer que son sprinteur ait pris le bon rond-point au bon moment.
Ce soir, l’arrivée se jugera sur l’avenue de la Châtre, surnommée “Cavendish”, en hommage au Britannique aux 35 victoires d’étape. Un lieu sacré, donc, où l’on attend un sprint propre, efficace, et surtout prévisible. Milan, en pleine confiance, Merlier, revanchard, Groves, toujours emmené par Van der Poel, et peut-être Wout Van Aert, qui finira bien par retrouver ses jambes de 2022.
Derrière, les seconds couteaux tenteront de ne pas s’étrangler avec les miettes : Girmay, Bauhaus, Waerenskjold, Dainese, et même le fringant Pavel Bittner pour la PicNic-PostNL.
Une question qui demeure : pourquoi un week-end si… fade ?
On est le week-end du 14 juillet, le feu d’artifice du Tour, la grande messe populaire. Et pourtant, deux étapes de transition. Pas un col, pas une descente vertigineuse, pas même un raidillon pour faire grogner les favoris. Le temps est beau, les Français ont envie de faire la fête, et Le Tour, lui, déroule deux journées de tricot.
Il y avait sans doute mieux à faire. Une arrivée au sommet. Un feu de Bengale dans les Cévennes. Un coup de sang dans le Cantal. Mais non. On a offert à France Télévisions deux jours de procession, sans émotion, sans dramaturgie, sans folie. Demain, les choses sérieuses reprendront peut-être. Le relief pointera enfin le bout de son nez. Les jambes parleront, les maillots se déformeront, et l’algorithme pourrait bien griller un fusible. Mais pour aujourd’hui, on attendra 17h10 pour vibrer trente secondes. Peut-être.
D’ici là, on regarde le peloton tourner, on salue Milan pour sa maîtrise, et on se prend à rêver que quelqu’un, quelque part, décide encore de désobéir à son capteur de puissance.
YV
Crédit photo : ASO / Billy Ceusters
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