Il y a sur le bord des routes, ceux qui aiment les gestes gratuits, les cavalcades solitaires, les défis absurdes lancés à l’implacable logique du peloton. Pour eux, sur la 9ème étape conduisant les chevaliers de la route à Châteauroux, il y eut Mathieu Van der Poel. Échappé dès le kilomètre zéro avec son compère Jonas Rickaert, le Néerlandais s’est lancé dans une chevauchée qui sentait bon le cyclisme d’antan. À l’arrière, les équipes de sprinteurs organisaient la traque méthodique des héros imprudents. À l’avant, Van der Poel et Rickaert roulaient comme on récite un poème au milieu d’un échangeur autoroutier.
Repris dans le dernier kilomètre, après avoir été amené au maximum par un Rickaert combattif du jour, Van der Poel a été avalé par la meute juste avant que Tim Merlier (Soudal-Quick Step) n’envoie son vélo sur orbite et s’impose à Châteauroux, ville fidèle aux sprinteurs. La ligne franchie, le panache s’effaça devant la puissance. Van der Poel, essoufflé mais souriant, pouvait souffler : « C’était une belle journée à deux. » La poésie n’a pas gagné, mais elle s’est battue.
Merlier, lui, signait sa deuxième victoire sur ce Tour, devant le porteur du maillot vert Jonathan Milan et Arnaud De Lie. Paul Penhoët, meilleur Français, s’offrait une cinquième place d’honneur après être revenu de nulle part avant le sprint. Mais dans les mémoires, c’est l’éclat fugace de Van der Poel qui restera.
14 juillet au sommet : les coureurs dans le cratère
Ce lundi, pour la dixième étape, le Tour grimpe dans le Massif central. Une étape courte (165,3 km), mais volcanique, à tous les sens du terme. Sept côtes répertoriées, deux non classées qui piquent les cuisses comme une piquette mal fermentée, et une arrivée inédite au Mont-Dore Puy de Sancy : 3,3 km à 8 % pour finir au plus près des cieux, sur une route large et nette, mais pentue et sans pitié.
Ce sera la fête nationale en France, mais pas pour tout le monde. Les sprinteurs devront jeter un œil anxieux aux délais, les leaders un regard suspicieux à leurs adversaires. Tadej Pogacar porte toujours le maillot jaune, mais a perdu son fidèle João Almeida, abandon sur chute. La Visma – Lease a Bike, elle, rôde comme une meute affamée, prête à harceler le Slovène pour faire sauter le bouchon et relancer la course à la gloire.
Les côtes de Loubeyrat, Charade, Berzet, puis le Col de Guéry et celui de la Croix Morand, dessinent une étape usante, nerveuse, sans répit. La descente vers le final sera piégeuse, le vent contraire et le bitume rugueux. Les équipes de grimpeurs ont reconnu les lieux : Romain Bardet, prophète en son pays, pourrait souffler quelques secrets à son jeune protégé Franck van den Broek, qui rêve d’un feu d’artifice personnel au pied du Sancy.
Dans les derniers kilomètres, après le Rocher de l’Aigle, les jambes lourdes et les cerveaux sous pression, les favoris devront trancher : attaque ou attente ? Pogacar, Evenepoel, Vingegaard — la sainte trinité du général — devront se dévoiler un peu plus. Le Mont Dor Puy de Sancy n’est pas un géant, mais il use, il traîne dans sa pente des promesses et des pièges.
Et si la victoire revenait à un baroudeur ? À un de ces hommes qui, comme Van der Poel hier, pensent qu’il faut oser pour exister ? Ben Healy rêve de maillot à pois, Van den Broek d’un jour de gloire, Simon Yates d’un retour à la lumière. Mais le Tour, comme la vie, ne récompense pas toujours les audacieux. Ce lundi, au sommet d’un ancien volcan, c’est peut-être la science de la guerre d’usure qui l’emportera. Ou l’improvisation géniale. Ou les deux à la fois, dans ce chaos organisé qu’on appelle la Grande Boucle.
YV
Crédit photo : ASO / Charly Lopez)
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