France. Une République contre son peuple

La France est un curieux pays. Les visiteurs nord-américains le remarquent très vite, souvent sans oser le dire : ici, les maisons n’affichent pas le drapeau national. Pas plus que les voitures, ni les commerces, ni les stades. Ce silence des façades frappe ceux qui viennent de pays où l’attachement à la bannière est naturel, quotidien, presque familial. En France, le tricolore est rare, réservé aux bâtiments officiels, aux enterrements militaires ou aux soirs de Coupe du monde, quand la République permet encore qu’on célèbre ce qu’elle détruit par ailleurs.

En Argentine, même les républicains les plus maussades hissent le drapeau national le 25 mai, mangent des empanadas et écoutent la fanfare sans trop barguigner. Le sentiment national y est un fond de sauce, il s’impose même aux blasés. Ici, non. Ici, le drapeau tricolore ne flotte pas sur tous les balcons, et la date du 14 juillet, censée unir les Français, suffit à en diviser une bonne part.

Il ne s’agit pas toujours d’un rejet conscient. Nombreux sont ceux qui s’en détournent par simple désaffection, ou par habitude. Mais le fait demeure : tout un pan de la population française — souvent la plus enracinée, la plus silencieuse, ne se reconnaît pas dans cette fête imposée par le haut et célébrée par l’appareil d’État comme un rite de possession.

Car il faut le dire sans détour : le drapeau tricolore n’est pas un drapeau national. C’est l’emblème d’un régime. Il est né d’un événement historique, la Révolution, qui, loin de faire consensus, demeure un traumatisme pour une part de la nation. Il n’unit pas : il rappelle. Il ne rassemble pas : il signale un camp. Le blanc des Bourbons y est enserré entre le rouge et le bleu de Paris comme pour mieux l’étouffer.

On ne voit pas les familles françaises coller le tricolore sur les voitures ou l’accrocher aux volets. Et même dans les armées, il est souvent relégué au protocole. Ceux qui ont porté les armes au Mali, en Afghanistan ou dans la bande sahélienne le savent bien : les photos de bivouac ou de campement montrent plus souvent le drapeau breton que le drapeau tricolore. Ce n’est pas seulement une boutade régionaliste : c’est le signe qu’un peuple ne se reconnaît plus dans les couleurs de l’État.

Et ce n’est pas seulement en opération. Allez sur les routes de France : vous y verrez des Gwenn-ha-du claquer au vent sur des véhicules de chantier, des ikurriñas basques au fronton des fermes, des têtes de Maure corses sur les capots de camionnettes, le bicolore alsacien dans les jardins. Ces pavillons charnels, enracinés dans la terre et dans le sang, parlent plus fort à leurs porteurs que les trois couleurs imposées par la Convention. Ils sont l’héritage des pères, non l’étendard d’une idéologie.

Adopté officiellement en 1880, sous la IIIe République, le 14 juillet fut longtemps ignoré ou rejeté par des centaines de communes monarchistes, catholiques, rurales. En Vendée, en Bretagne intérieure, dans le Haut-Anjou ou le pays choletais, on fermait les volets, on priait pour les âmes des fusillés de 1793. Certains maires refusaient même de voter les crédits municipaux pour financer les lampions.

Plus de deux siècles après les massacres de la Révolution, certaines familles n’oublient pas. Les descendants de ceux que la République a qualifiés d’« ennemis du peuple », nobles, paysans catholiques, officiers, ne se reconnaissent pas dans la mythologie jacobine, ni dans les valeurs républicaines devenues idéologie d’État. On leur parle de liberté, ils entendent conscription ; on leur chante l’égalité, ils voient la délation et la guillotine ; on leur promet la fraternité, ils sentent l’hostilité bureaucratique d’une patrie qui les nie et qui travaille avec ardeur à leur Grand Remplacement.

Et dans un retournement qu’il faut méditer, il n’est pas impossible qu’un jour seuls les nouveaux venus s’en réclament. Car pour les enfants de l’immigration, pour ceux à qui l’on a enseigné que la République est un asile, le 14 juillet conserve une fonction d’intégration. Ils s’y attachent, naturellement, parce qu’on le leur a donné comme une clef.

Mais à ceux qui douteraient encore, il suffit d’avoir vu ces images, récentes, de supporters du Paris Saint-Germain fraîchement arrivés à New York pour soutenir leur équipe, arborant drapeaux tricolores et chants de stade, comme s’ils agitaient l’étendard d’une victoire. La vue de ces visages étrangers au sol, brandissant le drapeau bleu-blanc-rouge avec une assurance conquérante, suffit à comprendre que ce drapeau n’est plus celui de la France charnelle, mais celui d’un régime. Non celui du pays qu’on hérite, mais de l’ordre qu’on impose. Non celui de la continuité historique, mais celui d’un pouvoir qui conspire, méthodiquement, à la perte du peuple qui l’a vu naître.

La République ne s’est jamais bercée d’illusions sur les origines de son pouvoir. Elle sait très bien que son épopée est bâtie sur les cadavres de ses opposants. Elle n’a pas voulu une fête sans douleur, mais une célébration victorieuse, un acte d’imposition mémorielle. Le 14 juillet n’est pas une commémoration, c’est une domination : celle d’un récit unique sur les récits oubliés, celle d’une légende d’État sur les vérités des familles. Ce n’est pas qu’on ait voulu rassembler : on a voulu faire taire. On ne célèbre pas impunément ce qui fut, pour une moitié du pays, un deuil sans sépulture.

Il n’y a pas de fête nationale sans nation. Et une nation n’est pas une abstraction républicaine : c’est un peuple charnel, avec sa mémoire, ses douleurs, ses fidélités. Tant que la République ne reconnaîtra pas la blessure originelle qu’elle infligea à une moitié de la France, le 14 juillet ne sera qu’un bruit de bottes dans un vide symbolique.

Alors, quelle fête pour les Français ? Les Bretons ont la Saint-Yves, patron des justes et des causes difficiles, célébré sans décret ni polémique. D’autres peuples enracinés ont su maintenir leurs saints, leurs jours sacrés, leurs commémorations organiques. La France, elle, n’a plus que des dates imposées. Faut-il une fête de Jeanne d’Arc ? Un 11 novembre repensé comme jour du pays réel ? Un 15 août délaïcisée, rouverte à tous ? Il n’est pas interdit de penser qu’un peuple ne peut se retrouver que dans ce qui l’a précédé. Non dans une révolution, mais dans une transmission. Tant qu’on fêtera l’État et non la nation, la fête ne sera que vacance, jamais ferveur.
Vos suggestions pour une vraie fête nationale des Français sont les bienvenues en commentaire.

— Balbino Katz
chroniqueur des vents et des marées

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10 réponses à “France. Une République contre son peuple”

  1. louis dit :

    et si on votait pour une fete de la terreur ? bob et son copain st juste on quand meme massacrés des dizaines de milliers d’innocents ! non ! pardon des ci-devants qui ne voulait pas de cette république sanglante

  2. Catherine Louise Blein dit :

    Magnifique texte, tellement vrai.
    Merci pour ce cri du coeur que nous poussons en silence depuis 225 ans.
    Et vive la France Royale,éternelle,et Catholique.

  3. Trystan Mordrel dit :

    Breton, je ne suis pas le plus qualifié pour suggérer une date aux Français pour leur fête collective. Mais pourquoi pas le Le 15 août, fête de l’Assomption ? Parce qu’elle fut, durant des siècles, la fête officielle du royaume de France. Napoléon Ier la rétablit comme « Saint Napoléon », puis la IIIe République tenta de l’effacer. Pourtant, elle est restée vivante. C’est une fête liturgique, donc enracinée dans l’âme, mais aussi estivale, populaire, associée à des clochers, des processions, des cloches qui sonnent partout.

  4. Bernard Plouvier dit :

    Mais la vraie Fête Nationale du 14 juillet (celle de 1790) fut une vraie Fête des naïfs – l’époque des Lumières étant une époque de naïveté optimiste – qui espéraient, assez stupidement, venus les temps de la Liberté de tout dire, de l’Égalité des Droits et des Devoirs, enfin d’une vague Fraternité, au sein d’une Nation (certes désunie par les querelles politiques et religieuses) mais peuplée exclusivement d’individus de souche européenne.
    On rappelle que le 14 juillet – Fête Nationale décidée par la IIIe République – n’est absolument pas la commémoration de la tuerie de 1789 (ouverture stupide des portes de La Bastille par un gouverneur lâche et terrorisé, suivie du massacre de la garnison et de la libération de 7 ou 9 fous et prisonniers décavés, incarcérés à la demande de leurs familles qu’ils déshonoraient)
    Le 14 juillet, Fête Nationale, commémore la Fête de la Fédération de 1790 où la Nation, l’Assemblée Constituante et le roi pensaient avoir créé un État idéal !!!
    La France macronienne est très différente : propagande intensive et déni de liberté d’expression ; aucune égalité de droits et de devoirs (les « immigrés » n’ont même pas le devoir de travailler pour gagner leur pitance, mais ils prennent le droit de voler, incendier, poignarder, violer impunément ou presque), enfin aucune fraternité n’est possible avec les djihadistes ou les cinglés du couple sionistes-antisionistes
    Macron fête ce qu’il veut ; la vraie Nation française se fout de lui, de sa Brigitte et de ses gouvernements fantomatiques, incapables de faire quoi que ce soit d’utile au pays et au vrai peuple.

  5. Thierry D'AMATO dit :

    Il y a deux fêtes « nationales » en France.
    L’anniversaire de notre roi qui tombe actuellement le 25 avril
    La Saint Louis le 25 aout

  6. Gaï de ROPRAZ dit :

    Bien dit tout cela.
    Mais parler de Nation pour illustrer la France est difficile.
    D’autant plus aujourd’hui avec le perpétuel déchirement du socle social, à l’image d’un patchwork humain assemblé de tout-venants …

  7. JJ Goasdoué. dit :

    L’adn français est démasqué dans les massacres perpétrés sur les peuples historiques d’un hexagone carcéral. Toutes les démocraties européennes sont construites et structurées sur le socle des communautés autonomes issues de l’histoire – peuples et territoires. La France carnassière a été chassée de ses prédations coloniales exception faite de la Bretagne. Une seule issue pour ces criminels : Libérer la Bretagne .

  8. Domper catalan français dit :

    Je m’étonne que l’on s’élève contre ceux qui veulent nous culpabiliser pour notre colonialisme passé mais qu’on souffle de la même façon sur les braises d’une frange d’histoire sanglante et répressive qui a touché toute une partie de la population mais il y a plusieurs siècles….D’accord Balbino ce n’est pas la part la plus glorieuse de la Révolution et on la cache souvent comme une tache indélébile ce qui n’est pas très glorieux ! Comment oublier aussi tous ceux qui sont morts dans diverses guerres en croyant au drapeau tricolore ? Lorsqu’on voit de nos jours des drapeaux algériens fêtant l’élection d’Hollande, palestiniens dans les facs et partout ailleurs c’est une France morcelée, fractionnée avec des  » nouveaux français  » qui haïssent le pays qui leur a tout donné ! J’ai un coq tricolore symbole du rugby sur mon revers et je passe pour un un extrême droite, identitaire….Nos responsables parlent sans arrêt de la République et jamais de la France alors faut pas s’étonner de ce que vous avez écrit très bien dans votre article.

  9. Prétet Yvette dit :

    Les touristes viennent de moins en moins dans notre pays à cause de l’insécurité qui y règne! En effet, les Français doivent supporter, sans rien dire ni faire, les dégradations que font les islamo-racailles!…Les Français non musulmans n’osent pas faire comme les Espagnols qui, après l’agression d’un retraité par trois  »Jeunes », à Torre Pacheco, le 11 juillet, ont, eux aussi, fait des  »nuits d’émeutes »…anti-immigrés, cette fois-ci!…Nos  »gouvernants » craignent que, pour notre fête nationale du 14 juillet, les racailles brûlent des voitures, etc…!!!!on aura tout entendu!…

  10. kan al louarn dit :

    Chacun révère le drapeau qu’il veut : quant à moi, Breton, je suis attaché au Guen ha Du et à l’ancien Kroaz Du références à la Bretagne ; et je ne suis pas le seul : il suffit de regarder les étapes du Tour de France cycliste. Le drapeau tricolore est surtout celui de la révolution parisienne qui veut s’imposer à tous comme d’autres symboles (la langue unique).
    A noter : en GB on parle du tournoi des 5 nations : reconnaissance que plusieurs peuples font partie de la GB . En Allemagne on se sert du terme « grande nation » pour moquer la France un pays centralisateur et monolithique.

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