Il n’aura donc fallu que dix étapes à la Grande Boucle pour remettre les pendules à l’heure – ou plutôt pour les caler sur le rythme implacable d’un duel devenu rituel : Pogacar contre Vingegaard, Acte IV, scène de montagne. Entre eux, tout le reste semble décor. Les coureurs ? Figurants. Les Français ? Plutôt absents. Les sprints ? Rationnés. Les échappées ? À peine tolérées.
Et pourtant, le Tour va vite, très vite. Trop vite, même, pour les âmes sensibles. À tel point qu’on dirait qu’il cherche à se débarrasser de lui-même, comme un fuyard ivre de vitesse lancé contre le mur des Pyrénées.
Première semaine : Pogacar en contrôle, Vingegaard à la peine, Healy en embuscade
184 hommes se sont élancés, mais deux seulement semblent tenir la plume du scénario. Pogacar a pris le maillot jaune à la force du style : un succès tranchant à Rouen, un coup de panache à Mûr-de-Bretagne, et surtout, une leçon infligée dans le contre-la-montre de Caen, où Vingegaard a laissé 1’05’’ dans l’histoire. Le Danois, souvent dans la roue, rarement dans la lumière, s’accroche à la course comme un roi déchu qui attend la faille du souverain.
Mais voilà que surgit un trublion inattendu : Ben Healy, l’Irlandais aux mollets filandreux et au panache d’un autre siècle, a chipé le jaune en haut du Mont-Dore, le temps d’un lundi de fête nationale où la République pédalait en silence. Un maillot conquis à la force de l’échappée, usé dans les cols du Massif Central, et porté en patron discret avant l’entrée en scène des géants pyrénéens.
La première semaine n’aura pas été qu’affaire de watts et de classements. Elle aura aussi vu quelques poètes en danseuse, dont Mathieu van der Poel, l’électron libre d’Alpecin, qui a donné au mot panache son sens retrouvé. Victoire à Boulogne-sur-Mer, maillot jaune deux fois arraché, puis un raid à la Quichotte jusqu’à 800 mètres de Châteauroux… pour offrir la combativité à son équipier Rickaert. L’élégance n’est pas morte.
Dans sa roue, Healy a montré ce que signifiait attaquer pour vivre, et non pour gérer. À Vire, il a roulé 42 kilomètres seul en tête, comme on traverse un pays conquis, en saluant les fossés. Ce Tour a été pensé pour les audacieux. Certains l’ont compris.
Les Français : spectateurs de leur propre légende
C’est un refrain qui lasse, mais qui revient, comme la pluie sur le Puy Mary : les Français courent, mais ne gagnent pas. Vauquelin brille sans étincelle faute d’attaquer, Martinez grimpe mais s’efface, Turgis et Grégoire flirtent avec les podiums sans jamais les posséder. Cela fait désormais 22 étapes sans victoire française, une des pires disettes de l’histoire moderne du Tour.
Et pourtant, ce n’est pas faute d’essayer. Mais l’effort, en 2025, ne suffit plus. Il faut dominer. Et le cyclisme hexagonal, pour l’instant, n’en a plus les moyens.
Ce mercredi, les jambes seront lourdes au départ de Toulouse, après un jour de repos qui n’aura reposé personne. La 11e étape s’annonce piégeuse : un faux plat vers le ciel, cinq côtes, et une ultime bosse de 840 mètres à 12,5 % au cœur même de la ville rose. Une sorte de mur dans la cité, pour sprinteurs puncheurs ou puncheurs sprinteurs.
Mais les choses sérieuses commenceront jeudi : Hautacam, Peyragudes, Superbagnères… Les noms claquent comme des tambours de guerre.
- Jeudi 17 juillet, arrivée à Hautacam : un col de 13,5 km à 7,8 % où Vingegaard avait dominé Pogacar en 2022. Le passé lui donne un espoir. La route, elle, ne promet rien.
- Vendredi 18, un contre-la-montre de 10,9 km jusqu’à l’altiport de Peyragudes, avec un final à 16 %. Une boucherie verticale. On y grimpera à vélo de route, mais le souffle, lui, sera coupé à pied.
- Samedi 19, l’étape-relique : Tourmalet, Aspin, Peyresourde, et une arrivée à Superbagnères, 36 ans après la dernière. Un enchaînement d’épopée, un terrain pour punir ou ressusciter.
- Enfin, dimanche, une étape casse-pattes vers Carcassonne, pour baroudeurs inspirés et leaders désireux de ne pas trop perdre. Une dernière salve avant le second repos.
Pogacar domine totalement bien que désormais, Healy le précède encore au classement. Vingegaard s’accroche, mais l’inquiétude filtre dans les interviews. Les autres attendent leur heure…ou se contenteront sans panache de viser une sixième place au général. Mais la vérité, elle, grimpe toujours plus haut. Et cette semaine, elle s’écrira sur l’asphalte des Pyrénées.
Le Tour entre dans sa phase monarchique. Les seigneurs vont parler. Les sujets, eux, pédaleront.
Crédit photo : ASO/ Billy Ceusters (DR)
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