Un contre-la-montre comme on n’en fait plus. Court, pentu, décisif. Mais surtout, désespérément prévisible. Tadej Pogacar, pour la 21e fois sur la Grande Boucle (et la 4ème fois cette saison), a levé les bras comme s’il avait été seul au départ. Pour la quatrième fois sur un chrono, il a joué avec la montre comme un chat sadique avec sa proie. À ce stade, ce n’est plus une course, c’est un règne. Le Tour de France 2025 est devenu un documentaire sur la domination. Une archive en temps réel d’un coureur qui étouffe toute dramaturgie, toute résistance, toute poésie.
Il fallait grimper vers Peyragudes, théâtre d’une de ses victoires passées, pour constater l’écrasante évidence. Derrière, Jonas Vingegaard a fait illusion. 36 secondes de retard, à ce niveau, c’est un gouffre. L’homme qui jadis fit vaciller le Slovène s’accroche désormais à l’idée même de pouvoir lui parler à l’oreille au sommet d’un col.
#TDF2025 / Un expert danois du dopage met en doute 🇸🇮 Tadej Pogačar (UAD) : « Il est compréhensible que des athlètes d’élite augmentent leur niveau de 1, 2 ou 3%. Mais lui, il a peut-être même augmenté son niveau de 10%. » https://t.co/O1A12r815X
— Renaud Breban (@RenaudB31) July 18, 2025
Même Remco Evenepoel, double champion du monde de la discipline, n’a été qu’une ombre de lui-même : 12e du jour, aspiré par le rythme infernal d’un Tour qui ne tolère plus les héros classiques, ni les failles humaines. Et que dire du courage sans gloire des Arnaud Démare, Biniam Girmay et Tim Merlier ? Sauvés par une rallonge de délai, repêchés dans les bas-fonds du classement comme des naufragés d’un cyclisme devenu un sous-marin nucléaire lancé à pleine vitesse.
Le Tour sans surprise : Pogacar comme Armstrong ?
À quoi bon faire semblant ? Tadej Pogacar écrase cette édition comme un certain Texan autrefois, lorsque le Tour était une procession, non une compétition. Aujourd’hui comme hier, dans le monde des initiés tout le monde applaudit. Les commentateurs n’osent absolument plus le moindre commentaire. Lisse, courtois, avenant, Pogacar est devenu l’antihéros parfait d’un cyclisme aseptisé. Un sport qui court à 60 km/h mais qui a laissé tomber la poésie sur le bas-côté.
On scrute ses watts, ses sourires, ses datas. Il est tout sauf détestable, ce Pogacar. Et c’est bien le problème : on aurait préféré un tyran à la Armstrong, on a un ange mécanique. Le peloton se courbe, les adversaires abdiquent. Il ne reste plus qu’à attendre la fin, compter les étapes, et rêver d’un contre-temps, d’une fringale divine, d’un col mal digéré. Mais l’espoir a quitté le Tour par la petite porte.
Demain : Luchon-Superbagnères, ou le baroud d’honneur des guêpes ?
Samedi 19 juillet, les jambes douloureuses reprendront la route pour la 14e étape entre Pau et Luchon-Superbagnères. Un parcours à faire pâlir les vieux grimpeurs à moustache : Tourmalet, Aspin, Peyresourde, Superbagnères. Quatre cols mythiques pour 4 950 mètres de dénivelé positif. Un enfer pavé de bonnes intentions… surtout pour ceux qui ne s’appellent pas Tadej.
Chez Visma-Lease a Bike, on tente encore d’y croire. Jonas Vingegaard, les yeux dans les rétroviseurs, espère que Pogacar explosera comme jadis au Granon ou à la Loze. Matteo Jorgenson pourrait se glisser dans l’échappée, Wout van Aert jouer les lieutenants de haute montagne. Mais tout cela ressemble à une pièce de théâtre jouée pour le public, dont l’issue est écrite à l’avance.
Même les scénarios les plus tactiques – pions à l’avant, relais dans les vallées, récupération au pied des cols – semblent voués à l’échec face à un Pogacar en mode moissonneuse. Il paraît qu’il veut enchaîner Tour, Vuelta, Kigali, Lombardie… Tant qu’à faire, autant ajouter la traversée de la Manche à la nage.
Vivement le Tour féminin
Alors on rêve. Non pas d’un rebondissement, mais d’un renouveau. Que vienne enfin le Tour féminin, cette bouffée d’air moins saturée de chiffres, plus aléatoire, plus romanesque. Là où l’on s’échappe encore pour le panache, où les équipières se relaient avec humanité, où les stratégies se bricolent dans les oreillettes et non sur des algorithmes. Là où, parfois, l’improbable triomphe.
Pogacar gagnera peut-être ce Tour comme il dort : serein, sans même transpirer. Mais qu’il prenne garde. Car à trop vouloir incarner la perfection, on finit par susciter l’indifférence. Et le Tour, sans surprise, sans poésie, n’est plus qu’un manège où seuls les enfants croient encore que tout est possible.
YV
Crédit photo : Billy Ceusters / ASO
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