À Carcassonne, les remparts ont l’habitude des assauts et de l’embrasement de la cité, le temps d’un 14 juillet. Mais ce dimanche 20 juillet, ce n’était pas un siège médiéval qui s’est joué, mais une chevauchée infernale orchestrée par les chevaux de selle les plus fous du peloton. Parmi eux, un Belge à la tempe fine, Tim Wellens, a joué le rôle du pyromane. À 34 ans, le puncheur flamand, artisan besogneux du grand Pogacar, a mis le feu à la course comme d’autres envoient une allumette sur un tas de paille.
L’étape devait être celle des jambes lourdes, de la digestion du massif pyrénéen, un entre-deux sans sel. Mais c’était sans compter sur un carambolage au kilomètre 15, où les pavés ont glissé sous les boyaux comme une savonnette sur le carrelage. Alaphilippe, martyrisé mais pas résigné, s’est remis l’épaule lui-même comme on remboîte ses rêves cabossés. Le peloton s’est fracturé en autant de morceaux que de casques heurtés, et le chaos s’est installé en maître de cérémonie.
Quand enfin l’échappée s’est dégagée du tumulte, elle portait en elle les noms d’hommes faits pour mourir à l’avant : Campenaerts, Rodriguez, Simmons, Storer, et cet insatiable Wellens, discret jusqu’alors, qui attendait l’instant propice. Celui-ci vint au sommet du Pas du Sant, quand les autres reprenaient leur souffle ou leur lucidité. Assis sur sa selle, avec la fixité d’un moine en méditation et la cadence d’un métronome diabolique, Wellens a dit au revoir aux siens à 43 kilomètres de l’arrivée.
Ce fut un solo d’opéra, un récital pour jambes fortes et tête froide. L’homme en rouge, blanc et noir fendit la campagne audoise comme un moissonneur avant la pluie. Derrière, Campenaerts joua au valeureux second, Alaphilippe au héros stoïque – il s’offre même un sprint pour la troisième place, persuadé d’avoir gagné. Ironie cruelle de ce sport où l’on ne voit jamais le vrai feu d’artifice quand on arrive après.
Wellens, lui, lève les bras pour la première fois sur le Tour. Il devient ainsi le 113e coureur de l’Histoire à planter son drapeau sur les trois grands tours. Une sorte de collectionneur de sommets, un gentleman aux jambes acérées. C’est aussi la cinquième victoire belge sur ce Tour : une orgie de pavés, de bière et de panache. Les Flamands ont retrouvé la recette de leur potion magique.
Et Pogacar, me direz-vous ? Loin de la fête, le Slovène a traversé la journée comme un promeneur évitant les flaques : sans chute, sans frayeur, sans perte. Il garde son trône, quatre minutes devant Vingegaard, qui semble de plus en plus résigné à rester dauphin.
Demain, repos. Mais mardi… Mardi, le Mont Ventoux pointera ses arêtes calcaires vers le ciel, comme une menace. Il attend ses victimes. Et les poètes. Wellens, lui, peut dormir. Il a gagné son morceau d’éternité.
YV
Crédit photo : Charly Lopez (ASO)
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