Le gouvernement britannique et l’exécutif irlandais s’apprêtent à nommer, début août, un interlocuteur indépendant chargé d’une mission délicate : évaluer la possibilité de lancer un processus formel visant à la dissolution des groupes paramilitaires encore actifs en Irlande du Nord. Une initiative conjointe à forte portée symbolique, qui marque une nouvelle tentative d’éradication de l’influence armée dans certaines communautés.
Une mission d’évaluation, pas encore une négociation
La personne désignée aura pour mandat de mesurer le soutien potentiel à une transition complète de ces groupes vers un arrêt de leurs activités, et d’identifier les obstacles éventuels à cette évolution. L’objectif affiché est de produire un rapport dans un délai de 12 mois, qui précisera si un processus officiel de démantèlement a des chances de succès, et sous quelles conditions.
Le cadre légal de cette mission repose sur les prérogatives existantes de la Commission indépendante de suivi, composée notamment de personnalités comme l’avocat John McBurney, l’ancienne commissaire aux droits Monica McWilliams, ou encore Mitchell Reiss, ancien envoyé spécial américain en Irlande du Nord.
Loyalistes et républicains dans le viseur
L’interlocuteur désigné devra établir des contacts avec les factions paramilitaires loyalistes comme l’UDA, l’UVF ou les Red Hand Commandos, dont certaines sont regroupées au sein du Loyalist Communities Council (LCC). Le groupe dissident South East Antrim UDA, qui agit en dehors du LCC, devrait également participer séparément à ces discussions.
Du côté républicain, la situation est plus tendue. Si l’INLA — officiellement en cessez-le-feu — conserve des structures internes et pourrait participer, des groupes comme la New IRA, Continuity IRA ou Óglaigh na hÉireann(ONH) se montrent pour l’heure fermement opposés à toute coopération, quelle que soit l’identité de l’expert.
Le nom de Jonathan Powell, ancien conseiller de Tony Blair, avait été suggéré par certains loyalistes, en raison de son implication passée dans le lancement du LCC en 2015. Mais son profil a été rapidement écarté, jugé trop proche des milieux loyalistes et donc inacceptable pour les républicains. Aujourd’hui conseiller national à la sécurité de Keir Starmer, Powell n’aurait de toute façon pas été retenu par le gouvernement irlandais.
Une shortlist de seize noms, tous issus du monde de la médiation internationale et de la résolution de conflits armés, a été établie. L’annonce officielle est attendue pour début août, les travaux devant commencer à l’automne.
Un contexte sous tension
Si certains signes d’évolution sont observés – notamment le retrait de fresques et la fin du recrutement chez le South East Antrim UDA – la situation reste fragile. Le Paramilitary Crime Task Force, unité spécialisée de la police, a intensifié ses actions : 83 arrestations, 175 perquisitions, et 115 personnes inculpées entre avril 2023 et mars 2024. Des saisies impressionnantes de drogue, d’armes et de tabac de contrebande ont surtout visé les factions loyalistes actives à Belfast et Antrim.
Mais tout le monde ne voit pas d’un bon œil cette démarche de dialogue. Sorcha Eastwood, députée du parti Alliance, s’est indignée d’un processus qu’elle juge trop conciliant : « Ces groupes sont un poison. Ils n’ont rien à offrir, sinon la misère et la destruction. Leur place n’est pas à la table des négociations mais dans les archives de l’Histoire. »
Elle appelle le gouvernement britannique à exiger la dissolution immédiate de ces groupes, sans médiation, sans incitation, et sans reconnaissance politique.
Ce chantier délicat s’annonce donc comme un test de volonté politique autant que de cohésion communautaire. Alors que l’Irlande du Nord reste traversée par de multiples tensions — sociales, identitaires, territoriales — la capacité des institutions à désarmer durablement les esprits et les structures hérités du conflit reste plus que jamais à démontrer.