Il y a des jours où les rôles s’effacent, où les étiquettes se décollent comme un dossard mouillé, et où les vérités s’écrivent en danseuse. À Pontarlier, ce samedi 26 juillet, le scénario de l’étape voulait récompenser un grimpeur, un puncheur, un de ces artistes du terrain cabossé. Il a préféré couronner un sprinteur. Mais pas n’importe lequel : Kaden Groves, l’Australien de la bande à Alpecin, plus habitué aux lignes droites qu’aux virages piégeux, a décidé de brûler la fiche de route.
L’échappée belle… et trempée
Le peloton, déjà rincé par trois semaines de Tour, avait laissé treize hommes tenter leur chance entre Nantua et Pontarlier. Il y avait là des Français en quête d’absolution, des rouleurs à cran, des puncheurs sans lendemain. Et un certain Kaden Groves, qu’on n’attendait pas vraiment là, sauf à rêver d’un sprint à cinq sur les pavés.
Mais voilà, la pluie s’est invitée sur la Côte de Longeville, et avec elle, la grande faucheuse des illusions. Romain Grégoire, sur ses terres, et l’Espagnol Romeo ont embrassé le bitume détrempé dans un virage plus traître qu’un sprint massif. Pendant que les malchanceux pansent leurs plaies et leurs rêves brisés, Groves, lui, passe entre les gouttes – au propre comme au figuré.
L’instinct du carnassier
À seize bornes de l’arrivée, alors que les autres tergiversent, Groves appuie. Le Néerlandais Van den Broek et l’Anglais Stewart restent cloués sur le goudron comme des figurants dans un western mal éclairé. Le kangourou bondit seul, sans sommation, sans regret.
Il franchit la ligne les bras levés, 54 secondes devant le peloton de l’oubli. C’est sa première victoire sur le Tour, la dixième sur un Grand Tour, et un triplé pour la maison Alpecin – après Philipsen et Van der Poel. Qui aurait cru que le poisson-pilote relégué au rang de plan B après les forfaits précoces de ses chefs de file, deviendrait l’homme fort d’un final ?
Aleppin : trois bouquets et un panache
Groves n’a pas seulement gagné. Il a redonné des couleurs à une équipe belge que l’on croyait vidée de ses ambitions après l’abandon de ses têtes d’affiche. En signant le troisième succès d’Alpecin sur cette Grande Boucle, il rappelle que les baroudeurs sont parfois des sprinteurs reconvertis, et que l’instinct vaut bien une stratégie.
Groves est désormais dans le club fermé des coureurs victorieux sur les trois Grands Tours – 114 au total, mais combien avec un tel mélange de force brute et de finesse tactique ? L’Australien a ce don rare de courir sans calcul, comme on entre en guerre : avec ses jambes pour fusil et sa solitude pour armure.
Derrière, le vélo français n’a pas démérité. Romain Grégoire, courageux malgré sa chute, termine cinquième, le regard embué plus de regrets que de pluie. Quant à Jordan Jegat, il grimpe dans le top 10 du général. Il avait été hué, insulté dans l’échappée par certains compagnons de route — dont Velasco qui ne mâcha ni ses mots ni sa langue. Jegat leur répond avec les jambes, et une belle dixième place au général comme carte de visite.
Et maintenant, Montmartre
Il ne reste qu’une étape. Une dernière flèche à tirer dans le ciel de Paris, qui cette année passe par la Butte Montmartre, cette insolente pavée qui promet du théâtre. Pogacar, Alaphilippe, Van Aert, Vauquelin, peut-être Madouas… Tous auront une dernière occasion de jeter leurs tripes sur les pavés.
Mais qu’on se le dise : après ce que Groves a accompli à Pontarlier, même un sprinteur a désormais le droit de rêver à l’impossible. Car le vélo, ce n’est pas qu’une question de watts, c’est une affaire de flair, de pluie et de panache.
Demain, le rideau tombera sur les Champs-Élysées. Mais ce samedi, c’est à Pontarlier que l’on a vu le vrai final d’un Tour : celui d’un homme seul, contre tous les pronostics, les étiquettes et les habitudes.
Et celui-là, ce n’était pas un baroudeur. C’était Kaden Groves, Aleppin le magnifique.
Crédit photo : Billy Clusters / ASO
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