Le Tour de France Femmes a ceci de particulier qu’il ne s’épanouit jamais tout à fait dans la routine. Même lorsqu’on lui tend un plateau sans relief, avec ses routes droites comme des pistes d’aéroport et ses faux-plats qui peinent à tromper le GPS, il se débrouille pour faire naître le tumulte. L’étape du jour, entre La Gacilly et Angers, en portait tous les signes : un profil dessiné au cordeau, une arrivée promise aux puissantes, et puis… le drame, le retour du mythe, le triomphe.
Lorena Wiebes, 26 ans, néerlandaise musclée au palmarès déjà dodu, a rappelé à la meute qu’en matière de sprint, elle est plus qu’une référence : une révélation. Dans les 200 derniers mètres, elle s’est dressée sur ses pédales comme un oracle sur son socle, et a renvoyé Marianne Vos, pourtant maillot jaune du matin, à ses réflexions post-race. Ally Wollaston, de la FDJ-Suez, complète ce trio de fin du monde avec la sensation d’avoir assisté à un sermon plus qu’à une explication.
Chute d’anges et retour de feu sacré
Mais avant cette épiphanie sur les bords de Maine, le Tour avait connu ses stigmates. Une chute, terrible, spectaculaire, collective. À 3,7 kilomètres du but, dans un virage à angle droit aussi traître que bureaucratique, le peloton s’est effondré comme un vieux dossier sur une étagère mal fixée. Demi Vollering, lauréate du Tour 2023, s’est retrouvée plaquée au sol, visage crispé, douleur plantée dans le dos, comme une Madone trahie par l’asphalte. Elle a fini, courageuse, mais loin, très loin. La règle des cinq derniers kilomètres lui a offert un classement symbolique identique à celui des premières, mais son Tour, lui, a basculé dans l’inquiétude. Elisa Balsamo aussi a goûté au goudron – les routes étaient sèches, les nerfs non.
Dans ce chaos surgit l’éternelle Vos, 38 ans au compteur, qui récupère le maillot jaune abandonné dans la poussière par Le Court-Pienaar, victime indirecte de la chute et d’une cassure sournoise. L’histoire retiendra que Marianne Vos, la grande dame, ne cède jamais rien aux statistiques ni aux années.
Fugueuses à quatre voix
Pendant que les leaders faisaient de la politique d’évitement, d’autres s’amusaient avec l’échappée, cette vieille tradition française qui consiste à croire encore aux contes de fées. Quatre femmes, quatre profils, quatre drapeaux : Alison Jackson, la Canadienne facétieuse de l’EF Education, Catalina Soto Campos, la Chilienne de la Laboral Kutxa, Sara Martin, l’Espagnole de Movistar, et Clémence Latimier, la Dauphinoise d’Arkéa.
Elles ont mené la danse pendant près de 140 kilomètres, comme des élèves en récré prolongée, offrant à la foule des points d’appui pour ses encouragements et à la télévision ses rares panoramiques dynamiques. À dix bornes de l’arrivée, Sara Martin a brisé l’harmonie par un démarrage solitaire. L’alliance a volé en éclats, les regards se sont durcis, et l’avant-garde a perdu sa magie.
Derrière, les équipes de sprinteuses – la SD Worx de Wiebes en tête – ont avalé l’échappée comme un cycliste affamé un croissant industriel : avec empressement et sans regret. L’histoire était écrite. Mais comme souvent au Tour, le plaisir n’est pas dans l’issue, mais dans l’itinéraire.
L’arrivée à Angers n’a pas déçu ceux qui attendaient le choc des titanesques. Une montée à 2,5 %, comme pour faire mine de compliquer les choses, n’a pas suffi à troubler les certitudes. Wiebes, dans son style tranchant comme une gifle, a fusillé la ligne d’arrivée. Vos, pour sa part, a raflé les bonifications comme on glane les restes d’un festin – six secondes précieuses qui font d’elle la nouvelle patronne au général, avec Le Court reléguée à six secondes, et Pauline Ferrand-Prévot toujours dans le viseur, à douze unités.
Il y a, dans ce Tour Femmes, quelque chose de précieux : l’impression d’un sport qui cherche encore ses équilibres, mais qui les trouve parfois dans le fracas. La jeunesse s’impose, l’expérience résiste, et l’échappée reste l’acte de foi le plus pur qu’on puisse accomplir sur un vélo.
À Angers, aujourd’hui, on n’a pas seulement vu une victoire de plus pour Lorena Wiebes – sa 108e en carrière, excusez du peu – mais un moment suspendu, un condensé de ce qu’est ce sport : la gloire, la douleur, le théâtre. Et ce mardi, on remet ça. Parce qu’au fond, c’est ça, le Tour : un opéra populaire en étapes, où même les chutes ont un rôle à jouer dans le récit. À demain donc, avec la certitude que rien n’est jamais tout à fait écrit… sauf peut-être la victoire de Wiebes, quand elle a décidé qu’elle le méritait.
YV
Crédit photo : Pauline Ballet (ASO)
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Une réponse à “Tour de France femmes 2025. Lorena Wiebes ou le sprint comme vocation mystique”
Souhaitons que nous retrouvions le vrai esprit du Tour de notre enfance…L’avenir vient des femmes dans le monde celte on en a jamais douté!