Alors que la mémoire protestante de France tend à s’estomper dans l’imaginaire collectif, une étude de 2006 de Michel Monteil, maître de conférences à l’Université de Provence, rappelle avec force que l’île de Jersey fut pendant près de deux siècles un bastion de la foi réformée francophone – et un refuge majeur pour les huguenots fuyant les persécutions du royaume de France.
Dans son article « L’île de Jersey et les protestants français », Michel Monteil reconstitue avec précision la chronologie de cette présence huguenote, depuis les premières persécutions au XVIe siècle jusqu’aux débuts du XIXe siècle, alors que Jersey cesse d’être un refuge et devient un simple point de passage.
Une île francophone et calviniste
Loin de l’image touristique actuelle, Jersey fut longtemps une île francophone, et même un territoire réformé dans sa majorité. Sous l’influence de Genève, les idées de Calvin se diffusent dès les années 1540 dans les îles Anglo-Normandes, qui dépendaient alors de la couronne anglaise tout en restant tournées vers la Normandie. Dès 1563, les autorités jersiaises mettent en place un discipliné système calviniste, avec consistoires, synodes, et pasteurs francophones.
Lorsque la révocation de l’Édit de Nantes en 1685 jette des dizaines de milliers de protestants français sur les routes de l’exil, Jersey devient l’un des premiers havres sûrs, aux côtés de Genève, Amsterdam ou Londres. Sa proximité géographique avec la Normandie et sa langue partagée en font une terre d’accueil naturelle pour les pasteurs et fidèles fuyant les dragonnades.
Une présence durable, une mémoire effacée
Michel Monteil rappelle que cette présence ne fut pas éphémère : les Églises réformées francophones y fonctionnent jusqu’au XIXe siècle, et plusieurs générations de réfugiés y vivent, y prêchent, y enseignent, avant de repartir parfois vers les colonies anglaises, ou de s’installer définitivement.
Certains noms de famille présents à Jersey aujourd’hui sont d’ailleurs issus de cette émigration forcée, même si la mémoire huguenote s’estompe progressivement dans une société désormais anglicisée. Pourtant, dans les registres, dans les lettres pastorales, dans les synodes jersiais, c’est toute une mémoire protestante française en exil qui subsiste, souvent ignorée de notre historiographie nationale.
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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