Irlande du Nord : 58 % des habitants favorables à une commission pour encadrer les feux de joie (bonfire) et les drapeaux

Un sondage LucidTalk pour le Belfast Telegraph révèle que près de six Nord-Irlandais sur dix (58 %) se disent favorables à la création d’une commission chargée de réguler les feux de joie communautaires et l’usage des drapeaux, à l’image de ce que fait déjà la Parades Commission pour les défilés orangistes et républicains toute l’année.

Un clivage net entre communautés

L’étude, réalisée début août auprès de plus de 3 000 personnes, montre que 90 % des nationalistes et près de 90 % des électeurs Alliance et écologistes soutiennent la mise en place d’un tel organisme. À l’inverse, 76 % des unionistes y sont opposés, y voyant une atteinte à leurs traditions et à leur liberté d’expression.

Les femmes (63 %) et les classes moyennes (62 %) se montrent légèrement plus favorables que les hommes (54 %) et les classes populaires (55 %).

Cette enquête intervient après plusieurs polémiques. Le 15 août, deux énormes bûchers ont été allumés à Derry/Londonderry, dans les quartiers nationalistes du Bogside et de Creggan, journée de fête religieuse pour les catholiques. Ces brasiers étaient ornés de drapeaux unionistes, de couronnes du Souvenir, d’images du roi Charles III, mais aussi de symboles étrangers comme les drapeaux israéliens et américains.

De leur côté, les loyalistes avaient organisé environ 250 Bonfire le 11 juillet, à la veille des célébrations de la fête nationale unioniste avec de nombreux drapeaux républicains, ou symboles représentants la lutte républicaine, pro Palestine, Pro immigration… Ces pratiques, longtemps tolérées comme des marqueurs identitaires ou culturels,  sont désormais dénoncées par une partie croissante de la population pour leur caractère sectaire et dangereux.

Irlande du Nord : les « bonfires », de la tradition populaire à la guerre des symboles

Ces gigantesques brasiers, appelés bonfires, ne sont pas de simples fêtes populaires : ils incarnent aujourd’hui un héritage chargé d’histoire, de politique et de religion. Leur origine remonte pourtant à des coutumes anciennes et festives.

L’usage d’allumer de grands feux dans les nuits d’été est attesté dans toute l’Europe depuis le Moyen Âge, souvent associé aux célébrations du solstice ou de la Saint-Jean. Ces « midsummer bonfires » existaient également en Irlande, tant dans les communautés catholiques que protestantes, comme rituels de sociabilité et de fertilité.

Avec la Réforme et les bouleversements politiques des XVIe et XVIIe siècles, la pratique a pris une dimension confessionnelle. Les colons protestants venus d’Écosse ont importé la coutume dans l’Ulster, où elle s’est progressivement transformée en démonstration de loyauté envers la Couronne britannique et le protestantisme.

C’est surtout dans la communauté unioniste et loyaliste que les bonfires ont acquis leur signification actuelle. Chaque 11 juillet au soir, d’immenses piles de palettes et de pneus sont enflammées dans les quartiers protestants, marquant le prélude à la célébration de la « Glorieuse Douzième » (12 juillet).

Cette date commémore la victoire du roi protestant Guillaume d’Orange sur le roi catholique Jacques II à la bataille de la Boyne (1690), événement fondateur pour l’identité protestante en Irlande. Les feux deviennent alors des symboles de triomphe religieux et politique, rappelant la suprématie protestante et l’attachement au Royaume-Uni.

Si le phénomène est largement associé aux unionistes, les républicains nationalistes entretiennent aussi leurs propres brasiers, en particulier le 15 août, fête de l’Assomption dans le calendrier catholique. Dans les quartiers républicains de Derry (Bogside, Creggan), des feux commémorent l’introduction de l’internement sans procès en 1971, mesure controversée appliquée contre les militants nationalistes.

Ces brasiers, allumés dans une logique de contestation, s’opposent aux bonfires unionistes et véhiculent une mémoire différente, celle de la résistance au pouvoir britannique et de la lutte pour l’unité irlandaise.

Au fil des décennies, les bonfires sont devenus des marqueurs identitaires exacerbés. On y voit souvent brûler les drapeaux de l’autre camp :

  • Dans les quartiers unionistes : tricolores irlandaises, effigies de leaders républicains, parfois symboles catholiques.
  • Dans les quartiers nationalistes : drapeaux britanniques, couronnes du souvenir, portraits de la famille royale.

Ces pratiques nourrissent la rancune et prolongent la fracture communautaire. Les bonfires sont aussi accusés de dérives : slogans sectaires, mannequins représentant des migrants ou des opposants politiques, dangers environnementaux liés à la combustion de pneus.

Chaque année, les autorités nord-irlandaises et les associations tentent de limiter les excès en encadrant la taille des brasiers, leur emplacement ou le matériel utilisé. Certains bonfires se sont transformés en festivités plus familiales, avec concerts et spectacles pyrotechniques, cherchant à préserver l’aspect communautaire sans la dimension haineuse.

Mais malgré ces tentatives, la symbolique reste forte : pour beaucoup d’unionistes, éteindre ou réglementer les bonfires revient à attaquer leur identité. Pour les nationalistes, tolérer ces feux, souvent accompagnés de slogans hostiles, est perçu comme un signe d’impunité.

Les bonfires en Irlande du Nord sont passés du statut de feux de joie traditionnels à celui de rituels politiques et communautaires, cristallisant l’histoire violente et la division confessionnelle de la province. Symbole de fierté pour les uns, provocation pour les autres, ils rappellent que le processus de paix engagé depuis les accords du Vendredi saint (1998) n’a pas effacé les tensions identitaires.

Ces brasiers, qui embrasent chaque été les cieux d’Ulster, continuent ainsi d’incarner les cicatrices d’une terre où l’histoire reste brûlante.

Crédit photo : breizh-info.com
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