Adieu Soulayman. Bruno Guillot, ex-imam salafiste, nous plonge dans les coulisses de l’islamisme [Interview]

Ancien imam salafiste et prédicateur reconnu, Bruno Guillot – alias Soulayman – revient dans un livre choc « Adieu Soulayman », paru aux éditions Nour Al Alaam, sur son parcours hors norme : de sa conversion adolescente en Belgique à son passage par l’université islamique de Médine, en Arabie saoudite, jusqu’à son rôle de recruteur et de conférencier. Témoignage rare et sans fard, il dévoile de l’intérieur les mécanismes d’endoctrinement, la stratégie d’expansion du salafisme en Europe et les contradictions d’une idéologie rigoriste. Un récit saisissant qui éclaire les dérives d’un islam radical encore trop souvent minimisé, et qui soulève la question cruciale de la transmission et de la prévention face à la radicalisation.

Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Bruno Guillot : Je m’appelle Bruno Guillot, né en Belgique de parents français. Je suis un ex-prédicateur salafiste ayant étudié à l’université islamique de Médine (en Arabie saoudite) et un ancien professeur de langue arabe diplômé. Je suis par ailleurs père de deux adolescents.

Vous vous êtes converti à 15 ans, à un âge où l’on cherche souvent des repères. Qu’est-ce qui vous a attiré dans l’islam et, plus spécifiquement, dans le salafisme ?

Bruno Guillot : La première chose qui m’a plu est le côté familial de cette religion. La oumma, la communauté des musulmans à travers le monde, m’apparaissait extrêmement soudée. J’ai aussi apprécié la place qu’occupe le sacré dans la vie de tout musulman et l’aspect prosélyte de l’islam. Enfin, c’est une religion que l’on peut qualifier de cartésienne en apparence, à la fois dans sa doctrine et dans sa structure.

Le salafisme n’est autre que l’islam des premiers siècles – salafs signifiant « prédécesseurs ». J’ai été attiré par l’authenticité de sa méthodologie qui repose sur un retour aux racines et aux origines de l’islam. Pour moi, il s’agissait d’une sorte de garantie : en devenant salafiste, j’étais certain d’avoir la bonne compréhension de cette religion. Si les premiers musulmans n’ont guère compris l’islam, qui peut le comprendre ?

Vous évoquez une passion immédiate pour Mahomet et les textes sacrés. Avec le recul, pensez-vous que cette intensité religieuse répondait davantage à un besoin identitaire qu’à une quête spirituelle ? 

Bruno Guillot : Rejoindre la communauté musulmane a sans doute répondu à un besoin identitaire, car il est vrai qu’en devenant musulman, nous adoptons rapidement des pratiques et des habitudes qui ne sont pas dans nos mœurs ou notre culture. Par exemple, manger avec les mains comme le faisait Mohammed, s’habiller en prenant garde de ne pas s’assimiler aux mécréants, parler l’arabe, etc. Tout cela n’est possible que si le converti accepte un profond déracinement à la fois identitaire, mais aussi spirituel car, au-delà de nos us et coutumes, il y a les dogmes et les « sagesses » qui nous permettent de plaire à notre Créateur et de s’en rapprocher.

Comment vos proches ont-ils vécu cette conversion soudaine et radicale ?

Bruno Guillot : Je viens d’une famille de tradition chrétienne, non pratiquante. Comme on peut assez aisément l’imaginer, mes proches ont très mal vécu ma conversion, à commencer par mon père. Au début de ma conversion, il me forçait à me raser la barbe. On a eu plusieurs altercations, il me suivait ou me faisait suivre dans les mosquées, afin d’éviter toute radicalisation. Je sais aujourd’hui qu’il faisait cela pour mon bien mais, à l’époque, je ne le voyais pas ainsi… Très vite, mon obsession de bien faire et de devenir un musulman parfait a pris le dessus, ce qui m’a rapproché du salafisme et, à l’âge de la majorité, j’ai pris mon envol sans l’aval de personne. Je considérais mes parents comme des « mécréants » et leur avis n’avait aucune valeur à mes yeux.

Vous avez fréquenté l’université islamique de Médine, réputée fermée et rigoriste. Pouvez-vous nous décrire son fonctionnement et l’endoctrinement intellectuel qui y règne ? Quelle place occupe la haine de l’Occident dans cet enseignement ?

Bruno Guillot : Il faut savoir que l’université de Médine est directement financée par le roi d’Arabie saoudite, ce dont on pouvait être témoin au quotidien. Quand le roi guérissait d’une maladie par exemple, on pouvait recevoir une double, voire une triple bourse (150 € à l’époque) pour fêter son rétablissement. L’université est composée d’un énorme campus qui rassemble 80 % d’étrangers, car elle a été fondée avant tout pour répandre le salafisme dans le monde, en Occident plus particulièrement. Les professeurs eux-mêmes ne cachent pas leur volonté d’expansion du salafisme qu’ils souhaitent voir régner. Je ne sais pas si vous imaginez les conséquences que cela aurait dans nos sociétés occidentales… Ils nous enseignent tous les principes présents dans les grands classiques du wahhabisme, comme les livres de Mohammed ibn Abdil Wahhab, réformateur salafiste. La haine de l’Occident et de son histoire judéo-chrétienne est exposée à tous. La France, qualifiée de « pute de l’Occident », est en première ligne. L’université prône le principe d’alliance et de désaveu : il faut s’allier avec les croyants et se désavouer des mécréants. Pour vous donner un exemple concret, il était interdit de porter un maillot de football du FC Barcelone ou de l’OM.

Vous expliquez avoir converti des centaines de chrétiens. Comment procédiez-vous pour convaincre et séduire ? Par ailleurs, le salafisme met en avant la pureté, mais vous racontez aussi la violence et les châtiments corporels. Comment conciliait-on cette contradiction à Médine ? 

Bruno Guillot : C’est vrai, j’ai converti énormément de personnes à l’islam, que ce soit en Belgique ou en terre islamique, notamment lors de conférences. Cela peut surprendre, mais en Arabie saoudite, beaucoup sont des travailleurs immigrés chrétiens, athées ou bouddhistes issus des classes les plus défavorisées des Philippines ou d’Afrique subsaharienne. Pour les convertir, c’était très simple. Je m’appliquais à exposer les lacunes doctrinales du christianisme grâce aux recherches de célèbres apologètes musulmans influents sur Internet, comme Ahmed Deedat ou Zakir Naïk ; puis je vantais, en comparaison, les mérites et les bienfaits de l’islam, puis prônais les miracles scientifiques du Coran en distribuant gratuitement ce livre dans toutes les langues. Sachez qu’en se convertissant en Arabie saoudite, les immigrés obtiennent de nombreux avantages…

Il n’y a aucune contradiction entre la pureté prônée par le salafisme et les châtiments, les deux étant les faces d’une même pièce, comme nous avons coutume de le dire. Il est tout à fait possible de prôner la sagesse et la pureté et, dans le même temps, d’appliquer une justice extrêmement punitive basée sur la charia pour tous ceux qui ne respectent pas les règles. Le salafisme a sa propre conception des notions de miséricorde et de justice, loin des nôtres.

Vous mentionnez un pèlerinage meurtrier à La Mecque comme déclencheur de vos doutes. Que s’est-il passé exactement ? Quels ont été les premiers signes intimes de votre désillusion vis-à-vis de l’idéologie salafiste ?

Bruno Guillot : Peu de personnes le savent, mais énormément de musulmans meurent chaque année lors du grand pèlerinage de La Mecque. Il y a parfois de grands mouvements de foule où certains meurent étouffés, piétinés. J’y ai échappé de peu. C’est en effet à ce moment-là que sont nés mes premiers doutes. J’ai vu des femmes et des enfants mourir sous mes yeux, et je me suis demandé alors : c’est donc cela, le graal pour tout musulman, l’instant qu’on attend tous et que certains mettent des années à financer ? D’autres éléments, au fil des ans, sont venus alimenter ces premiers doutes. Tout cela est expliqué dans le livre…

Abandonner un monde où vous étiez reconnu comme érudit et imam suppléant, est-ce un saut dans le vide ou une libération ? 

Bruno Guillot : Au départ, mon choix a vraiment été vécu comme un saut dans le vide. J’ai plongé dans l’inconnu et ce que j’y ai trouvé a été particulièrement violent : j’ai été considéré comme un traître, un apostat, des menaces ont longtemps pesé sur moi suite à unefatwa, et des projets sérieux se sont envolés, comme celui de devenir l’imam principal d’une mosquée en Belgique. Avec le temps, j’ai pu relire et mieux comprendre mon passé, jusqu’à vivre ce choix de quitter l’islam comme une belle et vraie libération. Encore aujourd’hui, je m’interroge : comment ai-je pu en arriver là ? Le temps est un facteur clé.

Vous parlez d’une stratégie d’expansion de l’islam radical en Europe. Concrètement, quels moyens sont mis en œuvre et par qui ?

Bruno Guillot : Les moyens sont colossaux, même si la quantification est impossible. L’argent des émirs (princes) et des gouvernements comme ceux de l’Arabie saoudite, du Qatar ou des Émirats arabes unis est largement mis à contribution. Il permet de financer des formations gratuites sur l’islam, la traduction et la distribution massive et gratuite de livres comme le Coran, la création de sites Internet ou d’émissions de télévision. Dans de nombreux pays du Golfe, il n’y a pas de séparation entre la religion et l’État qui finance des mosquées, des logements et des bourses pour les étudiants. Même leurs ambassades dans nos pays occidentaux participent à cette stratégie d’expansion de l’islam radical en Europe.

L’université de Médine envoie-t-elle volontairement des « cadres » pour implanter un islam rigoriste dans les mosquées européennes ?

Bruno Guillot : Oui, c’est l’un des objectifs de l’université et plus globalement du royaume saoudien. La volonté affichée est vraiment de surfer sur le vide spirituel qui règne chez nous, notamment en France et en Belgique, pour arracher les jeunes de leurs racineschrétiennes et les enraciner dans l’islam. Ensuite, ces mosquées sont confiées à ces Occidentaux convertis : cela permet de convertir bien plus efficacement les foules sur place… Je le sais, j’ai fait partie de ces jeunes.

En France, certains responsables politiques et religieux affirment que le salafisme n’est qu’une minorité. Votre expérience semble dire le contraire. Qu’en pensez-vous ?

Bruno Guillot : Même ceux qui ne se considèrent pas salafistes sont influencés par les plus grands penseurs salafistes, peut-être même sans le savoir ! Les livres qui s’inspirent de ce courant sont très bien vendus et enseignés en France et les savants sont écoutés, notamment sur Internet. Le salafisme est ainsi omniprésent en Europe, même s’il n’est pas accepté de tous, il fait clairement partie du panorama des musulmans de France et de Belgique.

Voyez-vous un lien entre la progression de l’immigration musulmane et la diffusion de ce courant ?

Bruno Guillot : Il est trop tôt pour le dire, car les premières vagues d’immigration en Europe étaient loin du salafisme. Les immigrés musulmans, issus des pays du Maghreb essentiellement, vivaient un islam plus modéré. Mais la jeune génération, qui perçoit peut-être le décalage entre l’islam de ses parents et l’islam de Mohammed, a tendance à se tourner plus facilement vers le salafisme, l’islam des premières générations, le véritable islam. Aujourd’hui, les livres vendus en France sont ceux des prêcheurs salafistes, tout comme les vidéos diffusées sur Internet : cela plaît beaucoup aux jeunes qui ont soif d’appartenir à un groupe pouvant les aider, croient-ils, à s’affirmer en tant qu’individus. Je pense que les nouvelles générations vont contribuer de plus en plus à l’expansion du salafisme en Europe.

Vous avez connu de l’intérieur ce système. Quels signaux doivent alerter les familles ou les enseignants lorsqu’un jeune bascule dans le salafisme ? Selon vous, l’école française est-elle armée pour répondre à ces phénomènes ?

Bruno Guillot : Le changement radical de l’apparence, l’impossibilité du dialogue avec l’enfant, les livres qu’il lit et ses références, l’aversion pour sa culture ou l’histoire de son pays sont autant de signaux à surveiller. L’école française est à mon sens incapable de prévenir le phénomène de la radicalisation, aveuglée par la naïveté des autorités vis-à-vis de cette pensée et des gouvernements qui la soutiennent ouvertement (Arabie saoudite ou Qatar).Elle est également incapable de le guérir. Le déracinement des jeunes, quand il advient, est trop profond, c’est d’ailleurs pourquoi nous parlons  de radicalisation. Aujourd’hui, Internet est très présent et les dangers sont partout ; il faudrait de grands changements et une meilleure information pour pouvoir faire évoluer les choses.

Vous insistez sur le fait que votre livre n’est pas une condamnation de tous les musulmans. Comment distinguer islam traditionnel et islam radical sans tomber dans la naïveté ? 

Bruno Guillot : Bien évidemment, les musulmans sont des individus et chacun a ses spécificités. Englober tout le monde serait profondément injuste. L’islam dit « moderne » peut s’intégrer dans nos sociétés, s’il le souhaite et s’il n’oppose ou ne propose pas la chariaen lieu et place de nos démocraties. L’islam radical, en revanche, ne vise pas l’intégration. L’objectif clair de ses partisans est de s’imposer coûte que coûte, même si cela signifie obliger les populations à se convertir, à se battre ou à quitter leur pays. Aucun compromis n’est possible : les radicaux n’ont pas de limite.

Si vous aviez un message à adresser à un jeune tenté aujourd’hui par ce rigorisme, quel serait-il ?

Bruno Guillot : Mes conseils sont les suivants : si le salafisme te tente, réfléchis bien aux conséquences que ta conversion va entraîner. Il faut que tu prennes conscience que cette décision va impacter le reste de ta vie, jusque dans tes décisions les plus simples, comme prendre une photo, écouter de la musique ou regarder un match de foot. Tu vas devoir t’éloigner de la nature profonde de l’homme qui est d’aimer ; tu vas devoir détester des gens, tes amis, ta famille, car ils n’auront pas la même appartenance religieuse que toi. Crois-moi, ce mode de vie particulièrement stressant et strict finira tôt ou tard par te conduire à t’oublier toi-même, jusqu’à sombrer dans une profonde dépression. Si tu es dans cette situation, contacte-moi : nous pourrons en discuter ensemble.

Après cette rupture, quel est aujourd’hui votre rapport à la foi, à la spiritualité ? Vous parlez « d’adieu à Soulayman ». Est-ce une page totalement tournée ou reste-t-il une part de vous marquée à vie par cette expérience ?

Bruno Guillot : Ma spiritualité a trouvé sa place dans le christianisme qui prône l’amour. Mais mon choix n’est plus celui d’un naïf adolescent de 15 ans qui s’est laissé prendre dans les filets du radicalisme et de sa pensée. Aujourd’hui, c’est en homme accompli que je prends mes décisions. Nous sommes tous marqués par notre passé, mais je peux affirmer sans hésiter que tout ce que j’ai vécu avait un sens car, aujourd’hui, je peux utiliser mon expérience pour témoigner et apporter du positif à mes concitoyens. C’est donc sans regrets que j’ai définitivement tourné la page de mon passé.

Publier ce livre à visage découvert est un risque. Qu’est-ce qui vous pousse à témoigner malgré tout ?

Bruno Guillot : Évidemment, le risque zéro n’existe pas. J’en suis bien conscient, mais c’est avec sagesse et humilité que j’ai écrit ce livre. Mon objectif n’est ni de stigmatiser ni de blesser les sensibilités, mais de faire part de mon expérience, afin d’aider la jeunesse et nos sociétés à se prémunir contre le fléau réel qu’est la radicalisation. Si ma modeste contribution peut être une pierre à l’édifice que nous devons construire contre ce danger, alors j’aurais accompli ma mission.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : Pixabay (cc)

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