Plomeur. Les pompes à essence de Pendreff et les raffineries russes

Je chargeais du carburant dans ma voiture à l’Intermarché de Pendreff, que tout le monde croit situé au Guilvinec, mais qui se trouve en réalité sur le territoire de Plomeur. À mes côtés, deux artisans, chacun au volant d’une camionnette blanche où s’empilent outils et caisses de bois, remplissaient leurs réservoirs. L’un d’eux, son accent roulant comme une vague, lança à mi-voix : « Au moins ici, on peut encore se ravitailler, c’est pas comme en Russie. » La remarque passa comme une étincelle dans la conversation.

Ce propos me rappela les messages enthousiastes que publie l’analyste ukrainienne Anna Komsa. Sur X, elle diffuse chiffres et graphiques montrant la paralysie progressive du raffinage russe. Ses statistiques, reprises et commentées par une foule d’internautes, sont devenues l’étendard d’une victoire symbolique pour un peuple épuisé par les bombardements. Cette joie sonne comme une revanche morale : alors que les Russes frappent à l’aveugle des immeubles d’habitation, les Ukrainiens visent avec méthode les points vitaux de l’économie adverse.

Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que le carburant décide du sort des armes. En 1944, la VIIIe Air Force américaine entreprit une campagne systématique contre les usines allemandes d’essence synthétique. Les grands complexes de Leuna, Pölitz ou Böhlen furent bombardés par vagues de centaines de Forteresses volantes. Le résultat fut foudroyant : la production tomba de 180 000 tonnes à 20 000 en quelques semaines. Les chasseurs de la Luftwaffe, privés de carburant, restèrent cloués au sol. Les divisions blindées immobilisèrent leurs chars, faute de pouvoir les faire ravitailler. L’Allemagne, qui avait tenu tête à la plus formidable coalition militaire de l’histoire, s’écroula alors pour une raison presque triviale : ses réservoirs étaient vides.

La comparaison avec l’Ukraine d’aujourd’hui est éclairante. Certes, l’échelle n’est plus la même. Les forteresses volantes américaines déversaient des tapis de bombes qui anéantissaient des sites entiers, ne laissant qu’un champ de ruines fumantes. Les Ukrainiens, eux, n’ont pas la masse, mais la précision. Ils envoient des drones bricolés, chargés de quelques kilogrammes d’explosif, qui frappent les installations comme des aiguilles sur des points d’acupuncture. Le résultat, pourtant, n’est pas si différent : là où les Alliés détruisaient par saturation, les Ukrainiens paralysent par répétition. Dans les deux cas, l’effet est le même : l’adversaire voit sa machine de guerre entravée, non par la bravoure des soldats en première ligne, mais par l’impossibilité de remplir les réservoirs.

Il faut mesurer la portée de cette comparaison. Dans l’Allemagne des années quarante, le manque de carburant affectait d’abord l’armée. Les civils, habitués aux transports collectifs, voyaient peu la différence, sinon dans les coupures de courant et le rationnement. En Russie, en revanche, l’essence est devenue le fluide vital de la vie quotidienne. Les villes et les campagnes se sont organisées depuis des décennies autour de la voiture individuelle. Quand les stations ferment, ce n’est pas seulement l’armée qui ralentit, mais la société tout entière qui s’immobilise. C’est ce que montrent les témoignages venus de Sibérie, du Caucase ou de l’Extrême-Orient russe : des files interminables, des familles incapables de rejoindre leur travail ou de soigner leurs malades.

De plus, les bombardements alliés visaient à raser totalement les usines de carburant, à les rayer de la carte en une seule mission. Les frappes ukrainiennes, plus modestes, ne cherchent pas à anéantir, mais à ralentir. Elles s’inscrivent dans une logique d’attrition : détruire un compresseur aujourd’hui, endommager une unité de distillation demain, contraindre les ingénieurs russes à courir en permanence derrière des réparations qu’ils ne parviennent jamais à achever. Cette logique d’empêchement permanent est peut-être moins spectaculaire qu’un champ de ruines, mais elle peut se révéler tout aussi redoutable.

Certes, l’impact immédiat sur l’effort de guerre reste limité. L’armée russe continue de recevoir son carburant, car le Kremlin privilégie Moscou, Saint-Pétersbourg et le front, sacrifiant sans états d’âme les régions périphériques. La propagande insiste sur la rapidité des réparations, et il est vrai que certaines unités sont vite remises en marche. Mais la clé de la stratégie ukrainienne réside dans la répétition. La frappe n’est jamais unique. Elle revient, inlassable, comme une marée montante. Et chaque fois, les Russes doivent puiser dans des stocks d’équipements de rechange qu’ils n’ont plus, à cause des sanctions.

Ces succès s’ajoutent à un autre déjà ancien : la neutralisation de la flotte russe de la mer Noire. Sébastopol, jadis place forte, est devenue une nasse dangereuse pour les navires du tsarisme moderne. Les routes maritimes se sont rouvertes aux céréales ukrainiennes, et la Russie, entravée, a dû replier son pavillon plus à l’est. La même logique de harcèlement, répétée inlassablement, est aujourd’hui appliquée au cœur énergétique de l’empire.

Ici, la réflexion de Heidegger prend tout son sens : la technique n’est pas seulement un outil, elle configure notre rapport au monde, et nous enferme dans une dépendance radicale à l’égard de dispositifs que nous croyons maîtriser, mais qui, au premier choc, révèlent leur fragilité. Karl Haushofer, quant à lui, voyait dans la maîtrise des ressources et des grands espaces la clé des empires. Et Spengler rappelait que toute civilisation technique, à son apogée, court vers une vulnérabilité extrême : la dépendance à des systèmes complexes dont l’effondrement soudain précipite le déclin.

À cet égard, la crise russe offre l’illustration presque parfaite du passage de la Kultur à la Zivilisation décrit par Spengler. Une Kultur, lorsqu’elle est encore animée par un souffle vital, trouve toujours en elle-même les moyens de contourner l’obstacle, de régénérer ses forces. La Zivilisation, en revanche, est ce stade tardif où l’on croit que les infrastructures, les machines, les flux économiques suffisent à assurer l’avenir. Or il suffit d’une série de frappes menées par des engins bricolés, mais précis pour révéler que ce colosse repose sur des jambes d’argile. La Russie actuelle, empire épuisé qui se croyait indestructible, découvre brutalement que sa puissance n’était qu’un système technique, donc mortel.

En résumé, la campagne ukrainienne contre les raffineries illustre un rare succès stratégique. Elle déstabilise, à la marge pour le moment, l’économie russe, affecte le quotidien de millions de citoyens et expose les fissures d’un État qui se croyait inébranlable. Elle ne suffira pas à paralyser la machine de guerre, mais elle impose des coûts imprévisibles et croissants, ouvrant une phase nouvelle du conflit où la profondeur stratégique de la Russie se trouve pour la première fois sérieusement entamée.

Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT. Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine.. 

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18 réponses à “Plomeur. Les pompes à essence de Pendreff et les raffineries russes”

  1. robert dit :

    Le super U de Combrit permet aussi de faire le plein. Mais alors on quitte un peu la bigoudénie de labeur pour celle du tourisme. Un voyage dans le temps qui nous éloigne un peu plus de Russie.

  2. gautier dit :

    Bobards bobards ! renseignez vous avant de dire des énormités,en Russie il y a des dizaines de Raffineries, certainement plus de cent, petites et grosses, l’essence st quatre fois moins cher qu’en France, il n’y a eu aucun arrêt d’une raffinerie en Russie depuis la guerre, les réserves pour l’armée est estimé à plus de deux ans de guerre ! et les exportations ont été multipliés par 1,8 depuis deux ans ! allez cherchez des chiffres reconnus par les USA et Bloomberg ! les Russe ont déjà gagné la guerre, sans notre argent des milliards donnés par tous les Français et les autres esclaves européens, ce serait déjà fini !! je ne suis pas Russe, mais je m’instruit !

  3. Blanc dit :

    Il est prétentieux d’affirmer , dans un sens comme dans l’autre la désinformation joue à plein, néanmoins la Russie est un pays tellement vaste qu’on n’imagine pas comment les raffineries de Sibérie par exemple, pourraient être affectée par les drones ukrainiens

  4. Ronan dit :

    Demat an holl, ok l’essentiel Balbino est d’arrêter cette guerre ou des vies entières sont sacrifiées pour rien et d’arrêter de la financer avec l’argent de Nicolas. Assez de millards d’euros gaspillés dans ce conflit. « Flash « du groupe Queen est à écouter avec verve en ce dimanche. Kenavo

  5. Lukaz dit :

    C’est la première fois que je lis que le ciblage des raffineries russes aurait de telles conséquences sur la population. Nous sommes saturés de fakes voulant démontrer conbien les ukrainiens sont intelligents et les russes stupides. C’en est fatigant. E brezhoneg bremañ. Mont a ra hon arc’hant hon armoù, hon armerzerezh (ekonomiezh) e moged evit difenn ur renad ukrainat breinet a aberzh e bobl evit kenderc’hel da vevañ. Paouez gant ar bropaganda mar plij!

  6. blasin dit :

    toujours les mêmes fadaises par ce chroniqueur , en plus faire référence à Heidegger et Spengler et comparer le conflit otano-kevien à celui de la dernière guerre ..faut oser l’écrire .Ce n’est pas la première fois, manisfestement çà manque sérieusement de sources fiables et de terrain. A regarder Appoline de Malherbe, clone féminin de Bourdin, n’arrange pas les choses!

  7. DUGROS Jean dit :

    Les Ukrainiens s’y entendent pour diffuser de la propagande. Dame! C’est leur moyen de récolter des fonds auprès des occidentaux crédules. Certes, des drones ont frappé. Mais l’effet rencontre une situation d’échelle. Breizh Info, renseignez-vous vraiment. Il est troublant de vous voir tomber dans un tel piège, alors que par ailleurs, vous vous faites un honorable lanceur d’alerte.

  8. Vincent dit :

    Bonjour,
    Votre article reprend les grands clichés de la propagande européenne.J’entend par là,la croyance en un empire isolé et sur le déclin donc fragile,un matériel militaire dépassé, une population aux abois…j’en passe. C’est tout le contraire! 3 ans de guerre de haute intensité sur un front de 1000 kilomètres, je vous laisse remettre en perspective de ce que cet état de fait doit nécessiter comme moyen. Il faut cesser de raconter des ânerie le Russie bashing ne sert qu’à une chose,permettre a une europe corrompue jusqu’à l’os de nous emmener vers la guerre et de tout nous prendre.

  9. Eschyle 49 dit :

    Cette analyste ukrainienne, dont le pseudonyme est Anna Komsa, quelles sont ses sources ?

  10. Rycart dit :

    Heureusement que Lavrov ne lit pas Breizh-info !
    Il parlerait d’hystérie, de russophobie primaire…

  11. Come dit :

    Mes amis en Russie, assez critiques de leur gouvernement par ailleurs me disent que la vie de tous les jours n’est pas profondement affectee. Ils eprouvent quelques inconvenients mais ne se reconnaissent pas dans ces descriptions fantaisistes nourries par le bureau de propagande d’etat ukrainien. Ils vont en vacances dansle pays ou a l’Etranger, jouissrnt du plein emploi et ne sont pas dupes des racontars occidentaux qiui vuelent faire croire a une inevitable defaite russe. Gare a la naivete occidentale qui se delecte de l’heroisme ukrainien democratique et liberal.

  12. GLEPO423177 dit :

    Gros éclat de rire « Katz , boum , hue ! » Russie taux de croissance en 2023 et 2024 , plus de 4 % soit mieux que la zone européenne !
    Quand je veux m informer sur le conflit Russo-Ukrainien je préfère lire l analyse objective de Regis le Sommier qui va sur le terrain que les délires d un pilier de bar !
    Breizh info se déshonore a faire paraitre de telle ânerie , pour la désinformation nous avons LCI c est largement suffisant !!!

  13. Balbino Katz dit :

    Je dois avouer qu’une des joies d’écrire un de mes rares papiers où est abordée la question de l’Ukraine, est la lecture du courrier des lecteurs. Mes critiques ne lisent pas mes nuances, ne s’arrêtent quand j’écris que ces bombardements entravent, mais n’arrêtent pas, touchent à la marge un géant mais pas au coeur, incapable de paralyser la machine de guerre de Moscou, quand je mentionne la rapidité des réparations qui atténuent grandement l’impact des frappes… Mes critiques dévoilent la fragilité de leur argumentaire. Aucun n’a contesté avec des chiffres ur la baisse de l’activité du raffinage en Russie, du manque de produits pétroliers dans de nombreuses régions… Quant aux sources, je mentionne en toute transparence cette jeune propagandiste ukrainienne mais j’aurais pu aussi mentionner le Moscow Times ou des reportages (traduits) de la télévision russe. La pénurie est là, va-t-elle s’aggraver ? Je n’en sais rien. J’invite mes critiques à se renseigner sur les spécificités du raffinage russe et sur le défi que représentent pour cette industrie les piqûres d’épingle ukrainiennes. Vous avez des analyses par des spécialistes du raffinage qui m’ont beaucoup appris.

  14. Asinus dit :

    Si les Russes frappaient « à l’aveugle les immeubles d’habitation » il y aurait longtemps que Kiev serait devenue Dresde ou Hambourg…

  15. Torrebenn dit :

    Balbino, vous avez oublié de préciser que Poutine a un -ou plusieurs- cancers d’après l’Agence Presse Ukraine.

  16. FRANCHETTI Patrice dit :

    Nous savons donc désormais grâce à quel argent Breizh info doit sa survie. Honte à vous ! Les nouvelles que j’ai pu récupérer sur place grâce à mon ami Youri me prouve à moi vos mensonges. Avec de tels articles votre mort est programmée sous peu, non pas par manque d’essence mais par manque d’abonnés. Honte à vous.

  17. NEVEU Raymond dit :

    Un manque d’abonnés à Breizh Info j’en doute…!

  18. Michel dit :

    @Asinus
    Mais même si les russes bombardaient exprès les immeubles d’habitation, il ne le ferait pas à Kiev car Kiev est l’ancienne capitale de la Russie et une ville plutôt russe…

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