Irlande du Nord : Le domicile de la ministre de la Justice Naomi Long pris pour cible après ses propos sur les “victimes innocentes” des Troubles et de la guerre civile

Une quarantaine de personnes, dont plusieurs masquées, se sont rassemblées dans la soirée du 8 octobre devant le domicile de Naomi Long, ministre de la Justice d’Irlande du Nord et cheffe du Parti de l’Alliance, à East Belfast. Ce rassemblement intervient dans un climat politique tendu après plusieurs jours de polémique autour de la position de la ministre sur la notion de « victimes » du conflit nord-irlandais.

Le contexte : une guerre des mots autour du terme “innocent”

L’affaire trouve son origine dans un débat tenu fin septembre à l’Assemblée de Stormont, consacré à la reconnaissance des victimes du conflit armé nord-irlandais — les Troubles (1969-1998) — qui ont fait plus de 3 500 morts, civils, militaires, policiers et membres de groupes paramilitaires.

Lors de ce débat, le Parti unioniste démocrate (DUP) avait proposé une motion appelant à soutenir les victimes “innocentes” du terrorisme et à condamner la violence politique. Le Sinn Féin, principal parti nationaliste, avait déposé un amendement supprimant le mot “innocent” — estimant que la distinction entre “victimes innocentes” et “autres victimes” risquait de raviver les fractures communautaires.

Le Parti de l’Alliance, formation centriste et non confessionnelle dirigée par Naomi Long, avait soutenu l’amendement du Sinn Féin, ce qui a provoqué un tollé chez les unionistes. La ministre a expliqué que, selon elle, certains auteurs de violences pouvaient également être considérés comme des victimes, dans la mesure où ils avaient eux-mêmes été marqués par la guerre, la perte d’un proche ou la radicalisation. « Beaucoup de ceux qui ont commis des violences ont aussi subi des violences, et cela a contribué à les conduire à ce point », a-t-elle déclaré à la BBC. « Être capable d’éprouver de l’empathie envers ces personnes ne revient pas à justifier leurs actes. Mais exclure toute une partie de la population du processus de guérison est une voie dangereuse. »

La réaction des unionistes : “un affront aux victimes du terrorisme”

Ces propos ont suscité une onde de choc dans le camp unioniste, pour qui une telle position revient à effacer la frontière morale entre bourreaux et victimes. Le député unioniste Doug Beattie (UUP) a dénoncé « une déclaration consternante » qui « brouille volontairement la ligne entre auteurs d’attentats et victimes innocentes ». « Si vous commettez un acte illégal, vous êtes un auteur. Si vous subissez cet acte, vous êtes une victime. C’est une évidence morale que notre ministre semble avoir perdue de vue », a-t-il déclaré.

Ann Travers, dont la sœur Mary, 19 ans, fut assassinée en 1984 par l’IRA devant une église catholique à Belfast, a réagi avec colère : « L’Alliance Party est une honte pour les victimes innocentes. Entendre de telles paroles, c’est insupportable. »

Pour les unionistes, la suppression du mot innocent est perçue comme une tentative du Sinn Féin de réécrire l’histoire en mettant sur le même plan les victimes civiles et ceux qui ont pris les armes au nom d’une cause politique — une position que l’appui de Naomi Long a rendu encore plus explosive.

La colère descend dans la rue

Quelques jours après cette polémique, un groupe d’environ 40 personnes s’est rendu devant la maison de Naomi et Michael Long, son mari, conseiller municipal à Belfast. Certains portaient des masques et ont diffusé la scène en direct sur les réseaux sociaux. Selon plusieurs témoins, le rassemblement s’est voulu une “protestation contre l’insulte faite aux victimes innocentes”, bien que les slogans exacts n’aient pas été rendus publics.

La police nord-irlandaise (PSNI), rapidement dépêchée sur place, a ouvert une enquête pour intimidation et examine les vidéos enregistrées. Un véhicule de patrouille est resté stationné devant le domicile toute la nuit par mesure de sécurité.

Naomi Long a réagi sur les réseaux sociaux : « Ce n’est pas un dialogue, ce n’est pas un débat. Venir en groupe masqué devant ma maison, perturber mes voisins et ma famille, c’est de l’intimidation pure et simple. Une ligne a été franchie. »

Les réactions politiques ont été quasi unanimes. La Première ministre Michelle O’Neill (Sinn Féin) a jugé l’incident « écœurant », estimant que « s’en prendre au domicile d’un élu, c’est franchir une ligne rouge démocratique ». Sa vice-première ministre Emma Little-Pengelly (DUP) a elle aussi condamné les faits, appelant à une « solidarité totale » entre partis face à la menace d’intimidation.

Le président de l’Assemblée, Edwin Poots, a rappelé que « les élus ne devraient jamais considérer la peur et la haine comme faisant partie du métier ». De son côté, le vice-président de l’Alliance, Eóin Tennyson, a parlé d’un “tournant”, estimant que la campagne d’intimidation était nourrie par des semaines de désinformation et d’agressions verbales à l’encontre de Naomi Long.

Cette affaire met en lumière les cicatrices encore vives du conflit nord-irlandais, près de trente ans après les accords du Vendredi saint (1998).

La question de qui est une victime reste l’une des plus sensibles du débat public :

  • pour les unionistes, seuls les civils, policiers et soldats tués dans les violences méritent ce statut ;
  • pour les nationalistes et les partisans de la réconciliation, toute personne affectée psychologiquement, socialement ou familialement par le conflit peut être reconnue comme victime, même si elle a participé à des actes violents.

En soutenant une approche jugée « inclusive », Naomi Long s’est retrouvée accusée de trahison morale par ceux qui estiment qu’elle relativise la souffrance des innocents. Mais pour ses partisans, sa position traduit au contraire une volonté de rompre avec les dichotomies héritées du passé, afin d’avancer vers une société nord-irlandaise apaisée.

Le Parti de l’Alliance a annoncé un renforcement des mesures de sécurité pour ses élus, plusieurs d’entre eux ayant déjà reçu des menaces dans le passé. Naomi Long n’en est pas à sa première épreuve : en 2012, après avoir soutenu une réduction du nombre de jours où le drapeau britannique flotte sur l’hôtel de ville de Belfast, elle avait déjà fait l’objet de menaces de mort et d’une attaque au cocktail Molotov contre son bureau.

Cette nouvelle affaire rappelle combien la politique nord-irlandaise reste inflammable, tiraillée entre mémoire du conflit, polarisation communautaire et méfiance persistante.

Illustration : DR
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.

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