La dernière semaine de Milei, chronique d’un cap orageux

Je lis les nouvelles de Buenos Aires depuis le bar des Brisants, à Léchiagat, entre deux averses et le cri rauque des goélands. La Nación, ce grand quotidien argentin que je consulte chaque matin comme on consulte la météo du pays natal, titre : « Javier Milei ordonne d’apaiser les tensions internes dans le dernier virage d’une campagne accidentée ». On sent, sous la plume de Matías Moreno, l’impatience nerveuse d’une nation qui, depuis un an, vit suspendue à la personnalité d’un président qui s’est voulu tempête.

Dans sept jours, l’Argentine retourne aux urnes pour renouveler une partie du Congrès, ce qui, dans ce système présidentiel, équivaut à un vote de confiance. Milei joue sa survie politique : s’il perd, il devient un météore ; s’il résiste, il s’installe dans la durée. Son mouvement, La Libertad Avanza (LLA), coalition hétéroclite de libéraux, de conservateurs et d’anciens péronistes, a vécu une campagne émaillée d’incidents et de scandales. Mais le président, qui connaît les vertus de la théâtralité, a décidé de reprendre la main : multiplier les apparitions, effacer les querelles de clans, mobiliser jusqu’à l’épuisement sa base militante.

Depuis la semaine dernière, il sillonne le pays : Buenos Aires, Tucumán, Santiago del Estero, Córdoba, Santa Fe. Partout, il se montre entouré de caméras, gesticulant, haranguant les foules, conscient que la politique argentine reste un art d’incarnation. Ce qu’on appelle dans les journaux sa « stratégie ubiquiste » n’est que la traduction d’un vieux réflexe péroniste : exister, toujours, partout. L’Argentine n’aime pas les dirigeants absents ; elle ne pardonne qu’aux volcans.

Le climat de la campagne, cependant, a viré au tumulte. Un scandale a éclaté autour de José Luis Espert, économiste ultra-libéral et ancien allié de Milei, contraint de renoncer à sa candidature après la révélation de ses liens avec Federico “Fred” Machado, un homme d’affaires soupçonné de trafic de drogue aux États-Unis. Pour colmater la brèche, Milei a propulsé Diego Santilli, figure du Pro (Propuesta Republicana), le parti fondé par Mauricio Macri et pivot du vieux camp libéral-conservateur. Santilli, ancien vice-chef du gouvernement de la ville de Buenos Aires sous Horacio Rodríguez Larreta, s’est imposé dans la province de Buenos Aires comme l’un des visages les plus populaires du macrisme.

Pour colmater la brèche ouverte par le départ précipité de José Luis Espert, chauve, pelado en argentin, la coalition a placé en tête de liste Diego Santilli, roux, colorado. Problème, la justice électorale a refusé la réimpression du bulletin, la photo d’Espert demeure sur la boleta officielle. De là est née la facétie de campagne, devenue slogan de survie, “Para votar al colorado, marcás al pelado”, pour voter le roux, tu coches le chauve. Autrement dit, on demande à l’électeur de cocher un visage, Espert, pour faire élire un autre, Santilli, roux de service et nouvel étendard macriste dans la province. Cette ironie, très porteña, dit la débrouille politique locale, on bricole avec le réel et l’on transforme une contrariété bureaucratique en clin d’œil mobilisateur.

Derrière ces anecdotes se cache un enjeu crucial : obtenir un tiers des sièges au Congrès pour sécuriser le droit de veto présidentiel. Milei, lucide, a renoncé à sa promesse initiale de « peindre le pays en violet » (la couleur de son parti) et parle désormais d’un « moment charnière » dans l’histoire du pays. Il a compris, tardivement, qu’un chef d’État sans députés fidèles n’est qu’un tribun démuni.

Dans les provinces, les querelles de factions continuent pourtant de miner la machine gouvernementale. À La Matanza, bastion du kirchnérisme, ce péronisme socialisant et clientéliste qui conserve ses fiefs dans la banlieue populaire de Buenos Aires, des accusations de détournement de fonds destinés à la surveillance du vote ont mis le feu aux poudres. Les caciques locaux du Pro accusent les lieutenants de Milei d’avoir confondu mobilisation électorale et distribution de billets. Rien de neuf sous le soleil argentin : la démocratie y garde parfois des allures de foire populaire.

Pourtant, sur la scène internationale, Milei récolte les fruits d’un pari audacieux : son alignement sur Donald Trump. Les États-Unis viennent d’accorder à l’Argentine un accord de swap de devises, autrement dit, une ligne de crédit d’urgence de vingt milliards de dollars, pour stabiliser la monnaie et freiner la chute du peso. Derrière cette aide se trouve le secrétaire au Trésor américain, Scott Bessent, proche du président Trump, qui voit en Milei un allié stratégique dans la reconquête conservatrice du continent sud-américain. Washington, par pragmatisme autant que par affinité idéologique, veut éviter qu’un nouvel effondrement argentin ne serve de marchepied à la Chine.

Mais cette semaine, un autre dossier a rappelé à Milei la fragilité des réputations : l’affaire de la cryptomonnaie $LIBRA. La juge fédérale américaine Jennifer Rochon, à New York, a rejeté la demande de quatre fonds d’investissement cherchant à prouver que l’État argentin aurait dissimulé des avoirs derrière ce projet numérique. Dans sa décision, elle affirme que les fonds générés par $LIBRA pourraient appartenir non pas à l’État, mais à Milei lui-même, à sa sœur Karina, ou à son conseiller financier Hayden Davis. Autrement dit, la magistrate ne blanchit pas le président : elle suggère que l’argent pourrait être à lui.

L’affaire, pour l’instant, relève plus du soupçon que du délit, mais elle tombe mal. À une semaine du scrutin, l’idée que le chef de l’État ait pu spéculer à titre privé sur une cryptomonnaie qu’il promouvait publiquement suffit à troubler l’opinion. La presse péroniste s’en délecte, les investisseurs retiennent leur souffle, et l’opposition prépare déjà le mot d’ordre de dimanche : « Frenar a Milei », arrêter Milei.

La fin de campagne, dans ce climat, ressemble à une bataille d’échos. Le gouvernement répète qu’il sera « la force la plus votée » ; l’opposition promet de « rétablir l’équilibre républicain ». Les uns parlent de refondation, les autres de résistance. L’Argentine, comme souvent, rejoue la vieille querelle entre l’ordre et le peuple.

Pour un lecteur français, il faut rappeler que Javier Milei n’est pas un Trump de pacotille, mais une singularité du monde hispanique : un président économiste, libertarien, ultralibéral en économie mais conservateur en culture, lecteur de Hayek, de Rothbard et de Friedman, se disant ennemi juré de « la caste », ce mot magique qui englobe les politiciens, les syndicats, les journalistes, les banques et le Vatican. Il gouverne à coups de décret et de tweets, cite le Christ et l’école autrichienne, promet de fermer la Banque centrale et d’en finir avec « la religion de l’État ». Ses partisans le comparent à un croisé, ses ennemis à un histrion. Il est un peu les deux.

Ce dernier virage de campagne sera donc décisif. Si la participation électorale augmente, Milei peut espérer consolider sa base et élargir son emprise parlementaire. S’il échoue, il devra composer avec un Congrès hostile et une opposition revancharde, prête à l’étrangler dans la procédure. On dit souvent que la politique argentine est une danse sur un fil électrique. Le président libertarien y avance désormais pieds nus.

Je referme le journal. Dans la passe du Guilvinec, les chalutiers rentrent, le vent a tourné, la houle s’assagit. Je me dis que l’Argentine, fidèle à elle-même, navigue encore entre deux écueils : le rêve de la liberté absolue et le besoin d’un État tutélaire. Elle hésite, comme toujours, entre la foudre et le port.

Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
[cc] Article relu et corrigé par ChatGPT. Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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