En marchant ce matin sur la plage de Léchiagat, le vent d’ouest me giflait comme une vieille habitude. Je suis passé par la digue, puis par les petites rues de la Pointe, jusqu’au Café des Brisants. Là, entre deux pêcheurs qui parlaient du prix du gasoil et des boomers venus en ballade, j’ai ouvert mon ordinateur pour lire un article de Mediapart consacré aux élections néerlandaises. Chose rare : une vraie enquête, dépouillée de lyrisme, nourrie de chiffres, et où l’auteur, Romaric Godin, démontre patiemment que le récit d’une « victoire du centre sur l’extrême droite » ne tient pas debout.
Ce que la presse française s’était empressée de présenter comme une rédemption européenne, le triomphe du gentil Rob Jetten sur le démon Wilders, n’est qu’une illusion statistique. Si le parti D66 est arrivé en tête, ce n’est pas parce qu’il a « vaincu » l’extrême droite, mais parce qu’il a grappillé des voix à une gauche exsangue et à une droite qui ne sait plus où se loger. L’extrême droite, dans ses trois déclinaisons, le PVV, JA21 et FvD, a en réalité progressé. La prétendue victoire du centre n’est qu’une recomposition des blocs, un déplacement de poussière sur le même plancher.
Je ne suis pas tendre pour Mediapart, cette feuille d’orthodoxie gauchisante qui traque les hérétiques avec la ferveur d’un inquisiteur bolchevique. Mais il faut reconnaître à Godin le mérite rare d’avoir regardé les chiffres avant d’écouter le chœur des commentateurs. Ce geste, simple en apparence, tient de la probité intellectuelle, celle que nos journaux, englués dans le réflexe pavlovien de « faire barrage », ont presque oubliée.
Au fond, cette lecture m’a rappelé le bruit de la mer tout à l’heure sur la plage : régulier, sans fard, mais d’une persistance implacable. Les faits ont ce bruit-là : celui des marées qui ne mentent pas. Et tout le vacarme médiatique qui les recouvre finit toujours par retomber, comme la mousse d’une vague éteinte.
Il y a aussi, dans cette histoire hollandaise, un autre écho qui me touche davantage. C’est le lien étrange, presque secret, entre ce plat pays du Nord et mon pays du Sud. La reine Máxima des Pays-Bas est née à Buenos Aires, fille d’un ministre de la Junte que l’histoire officielle a effacé ; et le compagnon du fringant Jetten, lui aussi, est Argentin. Deux amours opposées, deux visages d’un même fil qui unit la mer du Nord au Río de la Plata : la fidélité aux apparences d’un monde bourgeois pour l’un, la passion égalitaire d’un modernisme sans racines pour l’autre.
De ces croisements improbables naît une géographie sentimentale de l’Occident : l’Europe et l’Amérique latine, l’ordre et le désordre, la mer grise et le soleil cru. Je me dis, en refermant l’article, que la Hollande de Jetten et la France de Macron partagent la même illusion : croire que le « centre » est encore un lieu habitable, alors qu’il n’est plus qu’un no man’s land balayé par les vents contraires de l’histoire.
Dans un monde fatigué, les centristes ne gagnent pas : ils administrent la décadence. Et ceux qu’ils prétendent contenir, ces populismes dont ils ricanent, ne sont peut-être que les symptômes, encore confus, du retour du réel.
Je suis resté longtemps à regarder le port, le regard vide, comme si le clapotis caressant les coques allait m’expliquer le secret des peuples. Le café refroidissait. La vérité, elle, restait brûlante.
Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées
Illustration : DR
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.
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