Une étude britannique révèle que le tabagisme et la pollution laissent une empreinte chimique durable dans les os, détectable plusieurs siècles après la mort.
Et si votre squelette gardait la mémoire de vos mauvaises habitudes ?
C’est ce que vient de démontrer une équipe de chercheurs de l’université de Leicester, au Royaume-Uni, dans une étude publiée dans la revue Science Advances.
En analysant des ossements humains datant du XIIᵉ au XIXᵉ siècle, les scientifiques ont découvert que les fumeurs laissent dans leurs os une signature moléculaire unique, encore identifiable des centaines d’années après leur mort.
Des restes anciens pour une science moderne
L’équipe britannique a examiné 323 squelettes issus de deux sites archéologiques anglais :
- 177 provenaient du cimetière de St James’s Garden à Londres, un environnement urbain industriel du XVIIIᵉ et XIXᵉ siècle, saturé de fumées de charbon ;
- 146 venaient d’un cimetière rural du Barton-upon-Humber dans le Lincolnshire, dont certains remontaient à l’époque précolombienne, avant l’arrivée du tabac en Europe.
Cette approche a permis de comparer deux populations : avant et après l’introduction du tabac sur le continent, offrant un échantillon de contrôle sans exposition à la fumée.
Quand les dents ne suffisent plus
Jusqu’ici, les archéologues identifiaient les fumeurs grâce aux marques laissées sur les dents : usure due à la pipe, taches brunes sur l’émail.
Mais cette méthode est limitée : la moitié des crânes anciens sont incomplets, et les fumeurs occasionnels ou passifs ne laissent aucune trace dentaire.
Les chercheurs ont donc prélevé une infime quantité de tissu osseux cortical (environ 40 milligrammes, soit le poids d’un grain de riz) sur le fémur de chaque individu, afin d’y rechercher des biomarqueurs chimiques à l’aide de la chromatographie de haute précision.
Résultat : 45 molécules distinctives différencient clairement les fumeurs des non-fumeurs, formant une sorte d’“empreinte chimique” comparable à une empreinte digitale.
Les os, archives métaboliques du corps
Contrairement à ce que l’on croit, l’os est un tissu vivant, qui se renouvelle constamment.
Les substances chimiques absorbées par l’organisme — nicotine, goudron, métaux lourds, hydrocarbures — sont intégrées à sa structure au fil du temps.
Ces traces deviennent alors de véritables “fossiles chimiques”, scellés à l’intérieur de la matière osseuse.
Ainsi, un individu ayant fumé régulièrement au XVIIIᵉ siècle peut encore être identifié aujourd’hui comme fumeur, même après plusieurs siècles sous terre.
Selon les chercheurs, cette persistance est due à la densité du tissu cortical, moins exposé aux altérations du sol et de l’humidité.
L’étude révèle aussi une autre donnée troublante : les os provenant du Londres industriel montrent une différence plus floue entre fumeurs et non-fumeurs.
La raison ? La pollution de l’air à l’époque de la Révolution industrielle — suie, métaux lourds, particules de charbon — modifiait elle aussi le métabolisme osseux, brouillant la signature chimique du tabac.
Ce constat rejoint les observations médicales modernes :
l’exposition chronique à la pollution atmosphérique réduit la densité osseuse, augmente le risque de fractures et favorise l’ostéoporose.
Autrement dit, respirer un air saturé de particules fines abîme les os presque autant que fumer.
Le tabac, un ennemi silencieux du squelette
Si l’étude archéologique ne s’intéresse pas directement aux maladies, la médecine contemporaine confirme les ravages du tabac sur le squelette.
Fumer ralentit la régénération osseuse, fragilise les articulations, retarde la consolidation des fractures et accroît le risque de parodontite — une infection qui détruit les gencives et l’os de la mâchoire.
Les chercheurs notent que la pipe serait la plus nocive, car la fumée y est plus concentrée, tandis que le tabac à mâcher aurait des effets moindres mais non négligeables.
Ces découvertes montrent que le corps humain conserve la trace chimique de nos comportements, bien au-delà de notre existence.
Nos os sont, en quelque sorte, la mémoire minérale de notre mode de vie — alimentation, environnement, expositions toxiques.
Ce que les archéologues découvrent dans un squelette du XIXᵉ siècle est peut-être aussi ce que les médecins liront demain dans les analyses biologiques de nos contemporains.
L’étude du passé éclaire ainsi le présent :
le tabac, la pollution et les toxiques de l’air urbain laissent une empreinte durable, à la fois sur notre santé et dans la matière même de nos corps.
Le message des chercheurs est limpide :
“Les effets du tabagisme ne s’effacent pas — ils s’inscrivent dans nos os.”
Pour ceux qui doutaient encore de la nocivité du tabac ou du coût sanitaire de la pollution, cette étude fournit une preuve littérale :
le corps se souvient.
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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