Ce dimanche 7 décembre 2025, Lajos Marton (1931-2025), un acteur et un témoin des grandes déchirures du XXe siècle, s’est éteint.
Lajos Marton voit le jour en 1931 dans une famille pauvre de la petite paysannerie de l’Ouest de la Hongrie, et étudie au lycée grâce à une bourse destinée aux familles modestes. Il devient officier de l’armée hongroise, et bien qu’il ne soit pas membre du Parti Communiste, il intègre par erreur l’État-major de l’Armée de l’Air (qui voulait recruter Lajos Márton ; une fois leur bévue constatée, ses officiers supérieurs n’ont pas osé corriger l’erreur, de peur de représailles). Farouchement anti-communiste, il transmet à l’ambassade américaine en 1955 et en 1956, prenant des risques inconscients, des documents confidentiels sur les installations militaires en Hongrie.

Qualifiant cette question d’énigme de sa vie, Lajos Marton n’a jamais su pourquoi il n’a pas été arrêté, alors qu’il a su par la suite que toutes les entrées à l’ambassade américaine étaient strictement surveillées par les services communistes hongrois. L’une des hypothèses est que les services voulaient identifier un réseau, et ne pouvaient pas imaginer qu’il agissait en loup solitaire.
Il a naturellement pris part à l’insurrection anti-soviétique de l’automne 1956. Il s’est battu de ses propres mains contre les soldats soviétiques, même s’il n’avait aucun plaisir à raconter (même en privé) certains épisodes sanglants auxquels il a pu participer. Durant ces journées folles, il occupe des responsabilités à l’aéroport de Budapest, et intervient pour permettre au photographe français Jean-Pierre Pedrazzini, blessé, d’être évacué.
Condamné à mort, il fuit pour Paris, car le siège de l’OTAN s’y trouve. Il pense reprendre du service auprès des forces de l’OTAN pour poursuivre sa croisade contre le communisme et pour la libération de la Hongrie. Mais il constate assez rapidement que ses services n’intéressent pas les Occidentaux. Il gardera jusqu’à la fin de sa vie une rancœur d’avoir été un soldat abandonné et trahi. A l’inverse, il n’a pas gardé de rancœur contre les Russes, depuis qu’ils ont cessé d’occuper son pays.
Rapidement, c’est une vie d’exilé qui attend Lajos Marton. Mais la France d’alors est en pleine ébullition en raison de la situation algérienne. Naturellement entré en contact avec des militaires français, Lajos Marton participe à l’Opération Résurrection en 1958 qui voit le retour du Général de Gaulle aux commandes du pays. Et il se voit embarqué dans l’OAS, et dans l’opération Charlotte Corday, qui a pour objectif d’assassiner le chef de l’État en 1962.
Dans ce commando d’une douzaine de personnes, commandé par Jean Bastien-Thiry, Lajos Marton retrouve deux autres hongrois, eux aussi réfugiés de 1956 : Gyula Sári et László Varga. Gyula Sári avait fui la Hongrie en 1951, combattu en Indochine dans la Légion (d’où il reviendra avec quelques morceaux de métal dans la jambe), et était retourné en Hongrie en octobre 1956 pour combattre les Soviétiques. Quant à László Varga, il avait participé lui aussi, à l’âge de 14 ans, aux combats de Budapest 1956.
Les Hongrois du Petit-Clamart : Gyula Sári, Lajos Marton, László Varga.
Le commando que l’on pourrait presque qualifier de franco-hongrois organisera le célèbre attentat de Petit-Clamart, dont Charles de Gaulle n’échappe que d’extrême justesse. Les participants sont rapidement identifiés et arrêtés. Bastien-Thiry, leur chef, est fusillé. Lajos Marton, qui a été condamné à mort par contumace, parvient à se cacher pendant plus d’une année, et n’est arrêté qu’en septembre 1963.
Il a droit à un nouveau procès, durant lequel – au grand dam de son avocat affolé par de tels propos – il déclare n’avoir aucun regret, à l’exception d’avoir échoué à accomplir sa mission. Il est condamné à 20 ans de prison. Moins de 5 ans plus tard, il est amnistié comme la plupart des anciens de l’OAS.
Lajos Marton en prison.
Âgé de presque 40 ans, Marton se lance alors dans une vie enfin normale : il trouve un emploi, se marie, et aura trois enfants. Il obtient la citoyenneté française à la fin des années 1970.
Seule exception à sa vie une bonne fois pour toute rangée : en 1983, il accepte une mission de la DGSE pour intervenir au Tchad, pour aider le gouvernement tchadien contre une insurrection pilotée par le colonel Kadhafi.
En 2002, Lajos Marton publie une première fois ses Mémoires, éditées par les Éditions du Rocher. Il révèle pour la première fois la participation d’un haut-fonctionnaire dans la préparation de l’attentat du Petit-Clamart, Jacques Cantelaube, qui avait demandé aux conjurés de faire connaître son action après sa mort.
Voilà ce que l’on peut dire de l’homme « public » qu’était Lajos Marton.
J’ai connu Lajos Marton en 2006-2007. J’avais 20 ans, il en avait 75. Lui était un homme d’âge avancé, un Hongrois vivant en France. Moi un jeune homme français avec un pied en Hongrie. Il était doté d’une mémoire d’éléphant et d’un enthousiasme généreux déconcertants.
Aussi curieux que cela puisse paraître, je n’éprouvais pas d’intérêt prononcé (autre qu’historique) pour les causes dans lesquelles il s’est engagé. Les combats auxquels Lajos Marton a participé appartiennent au passé, et c’est à l’Histoire de les juger.
Ce qui m’impressionnait en revanche, c’était le courage (presque insensé) dont ce fils de petit paysan avait fait preuve toute sa vie. Ainsi que la façon dont il avait traversé les épreuves de l’existence. Il n’a notamment jamais revu sa mère, décédée dans les années 1970, car il ne pouvait pas retourner en Hongrie. Il n’a jamais renié un seul de ses engagements. Sorti de prison presque quarantenaire et sans le sou, il était parvenu malgré tout à construire une vie familiale et professionnelle honorable.
Des lettres envoyées depuis la France par Lajos Marton à sa mère restée en Hongrie. La plupart ont été interceptées par les services communistes, et n’ont pas été transmises au destinataire. Lajos Marton les a récupérées lors de l’ouverture des archives communistes.
C’est sans doute cette vertu qui m’a laissé la plus profonde impression. C’est ce qui m’a motivé à participer à l’édition de ses Mémoires en Hongrie. Cette publication, en 2011, a donné lieu à une tournée mémorable dont nous chérissions tous deux le souvenir. 26 conférences en 21 jours dans quatre pays, 5000km, le tout en pleine été dans une vieille Lancia non-climatisée : nous y avions tous deux laissé 5 kilos ! Lajos avait alors 80 ans, et il était pourtant frais comme un jeune homme.
Maintenant, « Oncle Lajos », comme les Hongrois l’appelaient, appartient à l’Histoire. La mort qu’il a trompée tant de fois l’a finalement rattrapé, à l’âge avancé de 94 ans. Ses écrits demeurent. Ils évoquent des faits historiques déchirants, et laissent apparaître une valeur intemporelle : celle du courage des hommes indomptés.
Nicolas de Lamberterie
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Une réponse à “Lajos Marton, le hongrois qui voulait tuer de Gaulle, a rejoint les oies sauvages”
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