Neuf mois après son retour au pouvoir, Donald J. Trump a officialisé sa vision stratégique pour l’Amérique avec la publication d’un document majeur : la National Security Strategy 2025. Dans ce texte de 33 pages, le président réaffirme avec force sa ligne « America First », assumant un recentrage nationaliste, souverainiste et réaliste dans un monde en recomposition. Moins un simple document diplomatique qu’un manifeste idéologique, cette stratégie entend marquer une rupture totale avec les décennies d’internationalisme libéral, au profit d’un pragmatisme brutal, assumé et sans concessions.
Un bilan implacable des errements passés
Le texte débute par un diagnostic sans appel. Les décennies qui ont suivi la Guerre froide ont été, selon Trump, une suite d’échecs stratégiques dus à un excès de confiance et à un aveuglement idéologique. Les élites américaines auraient cru à tort en leur capacité à remodeler le monde à leur image, dilapidant ressources, crédibilité et souveraineté dans une quête chimérique de domination planétaire.
L’idéologie mondialiste, les accords de libre-échange asymétriques, l’expansion incontrôlée des institutions supranationales et l’ingérence militaire ont, selon le président, affaibli l’Amérique de l’intérieur tout en rendant le monde plus instable. Résultat : frontières poreuses, industrie délocalisée, sécurité défaillante, influence déclinante.
Trump se pose ainsi en réparateur, en correcteur de trajectoire. Et sa nouvelle stratégie, comme il le martèle, repose sur une question simple : que veut l’Amérique ? Et comment y parvenir avec les moyens réels à sa disposition ?
Les fondements d’une stratégie : survie, souveraineté, prospérité
La NSS 2025 s’articule autour de trois piliers : la survie de la nation américaine, la défense de sa souveraineté et le retour à la prospérité nationale.
- Survie : Défendre les États-Unis contre toute menace directe (militaire, technologique, migratoire, informationnelle).
- Souveraineté : Rejeter toute soumission à des entités internationales ou à des alliances déséquilibrées. L’Amérique doit décider seule de son destin.
- Prospérité : Restaurer une économie productive, indépendante, orientée vers l’innovation et le bénéfice direct du peuple américain.
L’administration Trump ambitionne de transformer les États-Unis en forteresse énergétique, technologique, militaire et industrielle. Les investissements massifs dans les infrastructures critiques, les chaînes d’approvisionnement, la réindustrialisation, les technologies de défense et les innovations émergentes sont présentés comme les clés du renouveau.
Le président n’en fait pas mystère : l’ère de la « migration de masse » doit prendre fin. Le contrôle strict des frontières est décrit comme une question existentielle, au même titre que la dissuasion nucléaire. L’immigration est vue non comme un atout, mais comme une menace potentielle pour l’unité, la sécurité et la culture américaine.
La stratégie lie clairement politique intérieure et sécurité nationale : une Amérique forte commence par une cohésion sociale retrouvée, une économie tournée vers les travailleurs américains, une société enracinée dans ses traditions spirituelles et culturelles, et non dans le relativisme globaliste.
Une doctrine de puissance : la paix par la force
Trump reprend ici un mantra reaganien adapté au XXIe siècle : « Peace through strength ». L’Amérique doit être suffisamment puissante pour éviter d’avoir à se battre. Cela implique :
- Une dissuasion militaire crédible, notamment via la modernisation de l’arsenal nucléaire et le développement d’un « Dôme d’or » anti-missile.
- Le réarmement économique : relocalisation, protectionnisme intelligent, domination énergétique.
- La réaffirmation du rôle des États-Unis comme arbitre ultime, mais non interventionniste, dans les grands conflits – une diplomatie présidentielle, personnalisée, plutôt que bureaucratique.
Loin des croisades démocratiques passées, la NSS 2025 adopte un ton beaucoup plus pragmatique. Trump refuse d’imposer un modèle unique au monde. Il accepte la diversité des régimes, pourvu qu’ils ne menacent pas directement les intérêts américains.
Mais ce pragmatisme s’accompagne d’une exigence de réciprocité : les alliés doivent contribuer à leur propre défense (notamment en atteignant 5 % du PIB pour les dépenses militaires dans l’OTAN), ouvrir leurs marchés, et respecter la souveraineté américaine.
Une Amérique recentrée sur ses intérêts vitaux
La stratégie abandonne les ambitions globales et préfère une approche régionale. Elle identifie plusieurs zones prioritaires :
1. Hémisphère occidental – le « Corollaire Trump »
Retour à la doctrine Monroe, version 2025 : l’Amérique latine doit être sécurisée contre toute influence extérieure (notamment chinoise). L’objectif est d’assécher les réseaux migratoires et criminels à la racine. Les États-Unis y assument une posture hégémonique sans complexe.
2. Indo-Pacifique – la clé de l’avenir
Zone de rivalité directe avec la Chine, l’Indo-Pacifique est perçu comme le principal théâtre stratégique du siècle. L’Amérique s’y présente comme garant de la liberté de navigation, de l’innovation technologique (IA, quantique) et du rééquilibrage économique face à Pékin.
3. Europe – un continent à réveiller
Le document dresse un constat sévère sur le Vieux Continent : effondrement démographique, censure idéologique, crise migratoire et perte de confiance. L’Amérique souhaite une Europe souveraine, stable, débarrassée de ses illusions post-nationales. Trump appelle à une paix négociée en Ukraine, et à un soutien aux mouvements patriotiques européens.
4. Moyen-Orient – désengagement et stabilité
Indépendante sur le plan énergétique, l’Amérique entend désormais transférer les charges aux puissances régionales. Les Accords d’Abraham sont appelés à s’élargir, dans une logique de paix économique, sans volonté d’imposer un modèle occidental.
5. Afrique – opportunité commerciale, pas mission civilisatrice
Fini l’aide humanitaire à fonds perdus : l’Afrique est vue comme un partenaire commercial stratégique, notamment pour ses ressources naturelles. Trump souhaite y développer une approche transactionnelle, évitant toute aventure militaire coûteuse.
Analyse : vers une recomposition géopolitique mondiale ?
La NSS 2025 consacre aussi plusieurs pages à la lutte contre ce que Trump appelle les idéologies « radicales et anti-méritocratiques ». Cela vise clairement les politiques « woke », les quotas DEI (diversité, équité, inclusion) et l’activisme progressiste. Selon la Maison Blanche, ces doctrines minent la compétence, l’innovation, et la cohésion sociale. Le retour à une société du mérite est présenté comme une priorité nationale, tout comme la défense de la liberté d’expression, notamment face à la censure des géants technologiques.
Cette nouvelle NSS marque une véritable révolution doctrinale. Fini le « nation building », la projection universelle de valeurs abstraites ou le multilatéralisme béat. L’Amérique de Trump assume une stratégie souverainiste, transactionnelle, enracinée dans ses intérêts et ses frontières.
Les institutions internationales sont vues avec méfiance ; l’ONU, l’OMC, voire l’OTAN, sont appelées à se réformer ou à s’effacer si elles ne servent plus les intérêts américains.
Cette stratégie est claire : il s’agit moins d’un repli que d’un recentrage. L’Amérique n’abandonne pas le monde – elle en redéfinit les règles du jeu. Elle cesse de jouer les arbitres gratuits et exige des partenaires qu’ils assument leur part de l’effort.
Cette vision séduit une partie croissante du monde occidental en crise : lassitude de la mondialisation, rejet des utopies post-nationales, appel au retour de l’autorité et du réel.
Mais cette doctrine peut aussi générer des tensions : en particulier en Asie (face à la Chine), en Europe (si le soutien devient conditionné à des changements idéologiques), ou en Amérique latine (si le « Corollaire Trump » est mal reçu).
La National Security Strategy 2025 n’est pas un simple document administratif : c’est un manifeste politique, civilisationnel, et stratégique. Elle assume une vision du monde fondée sur la force, la souveraineté, la réciprocité et le bon sens.
L’Amérique ne prétend plus transformer le monde : elle veut le contenir, le dominer dans ses zones vitales, et surtout, préserver ce qu’elle considère être son modèle unique. Une stratégie qui pourrait redéfinir les équilibres mondiaux – ou isoler un empire fatigué, en quête de grandeur.
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