Longtemps absentes des radars politiques et médiatiques, les femmes vivant en milieu rural constituent pourtant un tiers des Françaises, soit près de 11 millions de personnes réparties sur plus de 90 % du territoire. Une vaste étude publiée en décembre 2025 par l’Institut Terram et l’association Rura, fondée sur plus de 5 000 répondants et 93 entretiens approfondis, met en lumière une réalité persistante : la ruralité ne crée pas les inégalités entre les femmes et les hommes, elle les amplifie.
Une pluralité de profils, une contrainte commune : l’éloignement
Contrairement aux clichés, les femmes rurales ne forment pas un groupe homogène.
32 % appartiennent aux catégories populaires, 23 % aux catégories supérieures, et 45 % sont inactives, souvent non par choix mais en raison de carrières discontinues, de temps partiels subis et d’un marché du travail peu diversifié.
Mais au-delà des profils sociaux, une expérience structure les trajectoires : la distance.
Accès aux soins, aux écoles, aux formations, aux services publics ou à l’emploi : en ruralité, chaque démarche implique du temps, des kilomètres, une organisation complexe. Et, dans la très grande majorité des cas, cette charge repose sur les femmes.
Travail domestique : le socle invisible des inégalités
Comme ailleurs, les femmes rurales assurent l’essentiel des tâches domestiques. Mais en zone peu dense, cette charge est renforcée par l’absence d’alternatives.
- 86,5 % gèrent les démarches administratives du foyer
- 70 % accompagnent les enfants à l’école
- 74 % les conduisent aux activités extrascolaires
Ce qui peut être mutualisé en ville devient, à la campagne, une succession de déplacements incompressibles, absorbant temps, énergie et disponibilité mentale.
Résultat : 40 % des femmes rurales déclarent porter presque seules la charge mentale du foyer, contre 33 % des femmes urbaines.
L’étude révèle une insécurité économique fortement différenciée selon le sexe. 53 % des femmes rurales déclarent ne pas se sentir financièrement en sécurité, contre 38 % des hommes ruraux. Seules 40 % parviennent à épargner régulièrement, contre 55 % des hommes.
Dans les couples, 69 % des femmes rurales vivent avec un conjoint dont les revenus sont supérieurs aux leurs. Cette dépendance économique est lourde de conséquences, notamment en cas de séparation : 27 % estiment qu’elles ne pourraient pas s’en sortir seules, contre 9 % des hommes.
Sur le plan patrimonial, les écarts sont nets : lorsque des enfants sont présents, 35 % des hommes sont propriétaires exclusifs du logement, contre 21 % des femmes.
Des trajectoires professionnelles contraintes dès l’adolescence
Les renoncements commencent tôt.
Près d’une femme sur deux, en ruralité comme en ville, estime que son parcours professionnel a été limité parce qu’elle est une femme. Mais à la campagne, les conséquences sont plus lourdes : moins de formations accessibles, des transports insuffisants, des coûts de mobilité dissuasifs. À 18 ans, l’exode étudiant est brutal : la part des jeunes vivant en ruralité passe de 33 % à 24 % en un an. Les jeunes femmes partent plus que les hommes, tandis que celles qui restent sont majoritairement issues de milieux populaires, pour qui la mobilité est financièrement inaccessible.
C’est l’un des concepts centraux de l’étude : le sexe produit l’inégalité, la ruralité la durcit.
Le temps personnel en est un indicateur frappant :
- 19 % des femmes rurales disposent de moins de deux heures par semaine pour elles-mêmes, contre 7 % des hommes
- 47 % ont moins de cinq heures, contre 25 % des hommes
L’écart est plus du double de celui observé en milieu urbain. Travail, famille, déplacements : la géographie transforme les inégalités en contraintes quotidiennes.
Santé, garde d’enfants, droits : des accès inégaux
Les services essentiels sont plus difficiles d’accès :
- 63,6 % des femmes rurales déclarent ne pas avoir accès rapidement à des soins adaptés
- Les places en crèche sont trois fois moins nombreuses qu’en ville (8 contre 26 pour 100 enfants)
Dans ce contexte, les arbitrages se font au détriment de l’activité professionnelle féminine. Ce sont majoritairement les femmes qui réduisent ou interrompent leur emploi après une naissance.
Violences conjugales : une vulnérabilité aggravée par l’isolement
Les zones rurales concentrent 47 % des féminicides, alors qu’elles ne regroupent qu’un tiers des femmes. Pourtant, seuls 26 % des appels au 3919 proviennent de ces territoires.
La raison est connue : absence d’anonymat, éloignement des structures, peur du regard social. La proximité rend la demande d’aide plus risquée, plus coûteuse, parfois impossible.
79 % des femmes rurales se sentent isolées, contre 72 % des hommes. Ce sentiment s’inscrit dans un climat plus large de déclassement et de ressentiment territorial.
Lors des législatives de 2024, le vote RN atteint 42 % en ruralité, contre environ 30 % en zone urbaine. Les femmes rurales constituent l’un des électorats les plus sensibles à ce vote, non par adhésion idéologique uniforme, mais souvent par quête de protection, de reconnaissance et de stabilité.
Le constat central de l’étude est clair : avoir un droit ne garantit pas de pouvoir l’exercer.
En ruralité, chaque droit se transforme en coût : temps, transport, organisation, discrétion. Les auteurs plaident pour des politiques fondées sur l’accessibilité réelle : services itinérants, mobilité adaptée, garde d’enfants de proximité, accompagnement financier et patrimonial, dispositifs de santé et de protection réellement accessibles.
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