Anglicanisme : quand l’Église renonce au dogme pour plaire à l’époque

Tout en sirotant mon premier mate de la journée, je lis dans The Times un long portrait de Sarah Mullally, présentée comme la première femme appelée à devenir archevêque de Canterbury. Le papier se veut empathique, moderne, presque bienveillant. Il décrit un parcours personnel, d’infirmière à évêque de Londres, puis détaille les défis d’une Église d’Angleterre affaiblie par la baisse de la pratique religieuse, les scandales d’abus, la défiance morale. L’ensemble est enveloppé dans un vocabulaire rassurant, celui du soin, de l’écoute, de l’inclusion, de la réparation.

À première vue, l’article semble vouloir prendre la mesure d’une institution en crise. En réalité, il en évite soigneusement le cœur. La question théologique, pourtant centrale dans toute Église digne de ce nom, est presque absente. Tout se passe comme si l’anglicanisme n’était plus une tradition doctrinale, mais une organisation sociale chargée d’apaiser les anxiétés contemporaines. La foi y est décrite comme une ressource psychologique, l’Église comme un espace de médiation, le religieux comme une forme de service public de consolation.

Cette réduction n’est pas anodine. Elle correspond à une transformation profonde du christianisme occidental, dont l’Église d’Angleterre est aujourd’hui l’un des laboratoires les plus avancés. Le Times célèbre la nomination de Sarah Mullally moins pour ce qu’elle croit ou enseigne que pour ce qu’elle incarne. Une figure conforme aux attentes morales de l’époque, capable de répondre aux injonctions de diversité, de représentation et de réparation symbolique. Le journal parle de genre, de parcours, de résilience. Il parle très peu de dogme.

L’ordination des femmes à l’épiscopat, présentée comme une évidence morale, n’est jamais interrogée dans sa portée doctrinale. Elle est posée comme un progrès allant de soi. Or cette rupture avec la tradition apostolique, maintenue sans discontinuer par le catholicisme et l’orthodoxie, ne relève pas d’un simple ajustement organisationnel. Elle touche au cœur même de la compréhension chrétienne du sacerdoce. En l’évacuation pure et simple de ce débat, le Times ne tranche pas, il neutralise.

Je suis frappé par la manière dont les oppositions internes sont traitées. Les critiques venues des anglicans conservateurs, notamment hors d’Europe, sont évoquées comme des crispations culturelles, parfois réduites à des « microagressions ». Le désaccord théologique devient un problème de comportement. La fidélité à une lecture classique des Écritures est disqualifiée sans être discutée. Cette rhétorique n’est pas propre au journalisme britannique, elle traverse aujourd’hui tout l’Occident libéral, où le conflit des idées est remplacé par la pathologisation de l’adversaire.

Plus révélatrice encore est la manière dont Sarah Mullally parle elle-même de la foi, telle que rapportée par l’article. Elle la compare à un saut dans le vide, après quelques vérifications techniques. L’image est parlante, mais elle dit beaucoup. La foi n’est plus présentée comme une adhésion éclairée à une vérité révélée, transmise et incarnée, mais comme une expérience subjective, presque sportive, relevant du risque personnel. Une foi sans dogme, sans contenu stable, sans autorité transcendante.

Le Times insiste longuement sur l’engagement social de l’Église, sur son rôle face à l’anxiété des jeunes, à la précarité, aux fractures communautaires. Tout cela est respectable. Rien de cela n’est nouveau dans le christianisme. Ce qui l’est, en revanche, c’est l’effacement quasi total de la notion de conversion, de vérité morale, de salut. L’Évangile se dissout dans un humanisme vague, parfaitement compatible avec les normes culturelles du moment.

L’article reconnaît pourtant un fait brutal, la chute continue de la pratique anglicane. En quinze ans, la fréquentation régulière a reculé de manière spectaculaire. Cette donnée est mentionnée, mais jamais reliée aux choix doctrinaux opérés depuis plusieurs décennies. Comme si la libéralisation morale, la dilution théologique, l’alignement sur l’air du temps n’avaient aucune conséquence sur la vitalité spirituelle. À l’inverse, les zones de croissance du christianisme mondial, souvent plus conservatrices sur le plan doctrinal, sont à peine évoquées.

Je ne mets pas en cause ici la sincérité personnelle de Sarah Mullally. L’article rappelle d’ailleurs son opposition à l’euthanasie, position conforme à l’éthique chrétienne classique. Ce détail, presque dissonant dans le portrait dressé, montre que tout n’est pas uniforme. Ce que je critique, c’est le récit que le Times choisit de construire. Celui d’une Église qui survivrait en se conformant, qui se sauverait en se réinventant à l’image de la société qui la vide.

Oswald Spengler aurait sans doute vu dans cette évolution un symptôme crépusculaire. Les civilisations, écrivait-il en substance, ne meurent pas quand elles sont combattues, mais lorsqu’elles cessent de croire en leur propre nécessité. L’anglicanisme tel que le célèbre aujourd’hui le Times ne semble plus croire à sa mission spirituelle. Il se contente de vouloir rester acceptable.

Je lis cet article depuis la France, pays où le christianisme a connu d’autres formes de déclin, d’autres fractures, mais où subsiste encore l’idée que la foi ne peut se réduire à un accompagnement social. À force de vouloir être en phase avec son temps, l’Église d’Angleterre risque surtout de ne plus être en phase avec elle-même.

Balbino Katz

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Chroniqueur des vents et des marées

Crédit photo : wikipedia (cc)

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