Disparition de Carl Jahier, voix historique de Komintern Sect et figure du punk-oi! français

C’est une page de l’histoire du punk hexagonal qui se tourne. Carl Jahier, chanteur emblématique du groupe Komintern Sect, est décédé des suites d’une longue maladie, mettant fin à plus de quatre décennies d’un parcours musical hors des sentiers battus. Avec lui disparaît une voix rauque, fraternelle, enracinée dans la rue et la colère sociale, qui aura marqué à jamais la scène punk-oi française.

Une légende née dans les rues d’Orléans

Fondé en 1980 à Orléans par une bande d’adolescents révoltés, Komintern Sect s’impose très vite comme un pionnier du punk-oi en France, mais aussi comme un groupe faisant le lien entre punks et skinheads. Le groupe fait ses armes dans l’urgence, autoproduit ses disques via le label Chaos Production et enchaîne compilations et albums — dont le mythique Les Seigneurs de la guerre (1983). Carl, à la voix, incarne l’âme du groupe : un chant brut, sans fioritures, hurlant les amitiés éternelles, les soirées trop courtes, les frustrations d’une jeunesse populaire sans illusion.

Dans les années 1980, la scène oi! française est secouée par les affrontements entre punks, skins et groupes politiques. Komintern Sect, tout en revendiquant la provocation et un certain patriotisme, refuse de devenir un groupe politique, choix que font certains de la même scène à l’époque. Cela ne les empêche pas d’être rattrapés par la polémique, mais essentiellement en raison des publics très variés de leurs concerts, à la manière du groupe La Souris Déglinguée. Lassés de ces tensions et du climat délétère, les membres décident de dissoudre le groupe en 1986. KCarl, quant à lui, continue la musique dans l’ombre, mais garde une distance avec le micro.

Le retour inattendu d’une légende (2014–2024)

C’est en 2014 que la surprise survient, tout d’abord à l’occasion d’un concert à Boquého, en Bretagne, ou le chanteur monte sur scène reprendre quelques chansons avec un groupe local, les Rythm N boots. Poussé par les propositions de rééditions, mais surtout par l’envie de revivre la fraternité de scène, Carl remonte ensuite officiellement avec son groupe, en 2016, toujours en Bretagne (à Saint-Brieuc, à l’occasion de la convention tatouage et de la Streetpunk Ink mas party) sur les planches aux côtés de ses anciens camarades Thomoi et Vovott, rejoints par Mama (8°6 Crew) et Louis (Lion’s Law). Le retour est triomphal : concerts à guichets fermés dont quelques autres mémorables en Bretagne, tournées internationales, participation au Hellfest. En 2016 toujours, le groupe sort D’une même voix, album salué pour sa fidélité à l’esprit d’origine.

Jusqu’à leur ultime concert à La Marbrerie de Montreuil, le 29 novembre 2024 — intitulé Le Dernier Combat, à l’occasion duquel le chanteur, qui se savait malade, a eu l’occasion de dire de manière émouvante au revoir à son public en soulignant que d’autres, surpris par la faucheuse, n’avaient pas eu cette chance — Komintern Sect aura démontré qu’on peut survivre à toutes les tempêtes, y compris celles du temps.

Dans ses interviews, Carl Jahier refusait les étiquettes. Il défendait une Oi! fraternelle, populaire, apolitique et refusait tout récupération, tout en étant engagé contre les compromissions, contre la tiédeur aussi. Il regrettait que la scène punk soit devenue “trop gentille”, trop aseptisée. Lui qui avait grandi avec Sham 69 et The Business n’a jamais cessé de croire que la musique devait bousculer, unir, réveiller.

Portée par des titres devenus cultes — Unis par le vinToujours le premierPlus fort que tout — sa voix a résonné jusqu’en Colombie, au Chili ou à Minneapolis. Des générations de punks, skins, amateurs de street punk lui doivent beaucoup.

Komintern Sect et Carl Jahier laissent pour chaque amateur de punk une discographie essentielle, une influence durable et des milliers de fans à travers le monde. “D’une même voix et dans nos pas, la voix de la Oi! ne s’éteint pas” chantait-il. C’est vrai. Les punks ne meurent jamais vraiment.

YV

PS : Quelques chansons cultes du groupe en bonus.

Crédit photo : Manu Bezely 
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