Restos du cœur : quand l’État délègue la survie à la générosité populaire… et s’y soumet lui-même

Le dernier rapport de la Cour des comptes sur les Restos du cœur souligne un paradoxe glaçant : dans un pays encore présenté comme la sixième puissance économique mondiale, c’est désormais l’État lui-même qui assure, via subventions massives, le fonctionnement d’associations censées pallier ses propres carences. Une spirale inquiétante. Alors que l’association emblématique de l’aide alimentaire affiche un redressement budgétaire spectaculaire, la Cour des comptes appelle à plus de sobriété dans ses prévisions et à une mobilisation accrue de ses réserves avant tout appel à l’État.

Les Restaurants du cœur – les Relais du cœur, créés par Coluche en 1985, continuent de jouer un rôle majeur dans la lutte contre la précarité alimentaire en France. Leur 39e campagne, en 2023-2024, s’est soldée par la distribution de plus de 160 millions de repas. Mais cette efficacité de terrain ne masque pas les interrogations que soulève la gestion nationale de l’association, comme le souligne le rapport publié le 19 juin 2025 par la Cour des comptes.

Une machine bien huilée… mais dépendante

À première vue, les Restos du cœur donnent l’image d’une organisation robuste. Professionnalisation de la direction nationale, audits internes, modernisation informatique, cartographie des risques : l’association n’a pas chômé. Elle affiche même un redressement financier spectaculaire, passant d’un déficit de 13 millions d’euros en 2023 à un excédent de 34 millions un an plus tard. Près de 160 millions de repas ont été distribués durant la dernière campagne. Impressionnant, en apparence.

Mais à y regarder de plus près, c’est la dépendance structurelle croissante aux fonds publics qui interroge. En 2019, les subventions d’État représentaient 2 % de ses ressources. En 2024, elles en constituent 17 %. Si l’on y ajoute les contributions européennes, c’est plus d’un tiers du budget de l’association qui provient directement des pouvoirs publics. Autrement dit : l’aide d’urgence repose de plus en plus sur des financements institutionnels. L’État ne pallie plus seulement les besoins ponctuels, il devient un pilier de la survie alimentaire.

Une générosité instrumentalisée ?

Bien sûr, les appels aux dons publics – plus de 187 millions d’euros en 2024 – continuent de mobiliser les Français. Mais là encore, la Cour des comptes met en garde contre une stratégie de communication jugée « alarmiste » : les prévisions internes annonçaient un déficit cumulé de 250 millions d’euros sur trois ans, basé sur des hypothèses excessivement prudentes. De quoi interpeller : s’agit-il encore de mobilisation citoyenne ou d’un réflexe de panique orchestré pour provoquer un sursaut de générosité… et d’aides d’État ?

Le risque est double : d’un côté, épuiser la confiance du public en sollicitant sans cesse la corde sensible ; de l’autre, habituer l’État à financer, sans contrôle suffisant, ce qu’il a abdiqué de gérer lui-même.

La République sociale par procuration

La Cour des comptes le dit poliment, mais fermement : les Restos auraient pu puiser davantage dans leurs propres réserves – estimées à plusieurs dizaines de millions d’euros – avant d’appeler à l’aide. Derrière cette remarque se cache une question plus profonde : à partir de quel seuil d’intervention publique dans l’aide d’urgence considère-t-on que la République ne tient plus son rôle social par elle-même ?

Quand l’État finance 17 % du budget d’une association dont la mission est de nourrir les plus pauvres, ce n’est plus seulement de solidarité dont il est question, mais d’une forme de démission travestie. L’aide alimentaire devient un sous-traité du pouvoir, un palliatif organisé d’une faillite sociale. Les bénévoles, eux, font le travail ; l’État paie la facture… pour retarder l’effondrement.

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