Martin Galvin, l’Amérique irlandaise et l’ombre de l’IRA : itinéraire d’un activiste intransigeant

Symbole d’une diaspora militante et controversée, Martin Galvin fut pendant deux décennies le visage de l’IRA aux États-Unis. À l’heure où la chaine irlandaise RTÉ lui consacre prochainement un documentaire, retour sur un parcours où se mêlent clandestinité, convictions républicaines et fin de cycle politique.

Il fut l’homme que Londres redoutait, la voix qui faisait trembler Westminster depuis New York. Pour beaucoup d’Irlandais, Martin Galvin est resté le visage inflexible de la diaspora républicaine américaine. Ancien avocat, directeur de la branche propagandiste de Noraid — organisation soupçonnée d’avoir canalisé des millions de dollars vers le Sinn Féin et l’IRA — il incarne cette génération d’Irlandais d’Amérique convaincue que l’histoire ne s’était pas arrêtée aux quais d’Ellis Island.

Fuite dans la nuit et affrontement à Belfast

En août 1984, Galvin brave l’interdiction d’entrer au Royaume-Uni et rejoint un meeting anti-internement à Belfast. À peine a-t-il posé le pied sur scène que l’intervention brutale de la police (RUC) tourne au drame : Sean Downes, 22 ans, est tué par un tir de balle en plastique. Galvin échappe de peu à l’arrestation. Déguisé, il se cache dans un grenier, aidé par une jeune militante. Ce moment marquera un tournant dans sa vie.

Il soupçonne alors un certain Denis Donaldson, responsable de la sécurité ce jour-là, d’avoir informé les services britanniques. Des années plus tard, Donaldson avouera avoir été un agent double depuis les années 1980. Mais à l’époque, ses accusations furent étouffées par la direction du Sinn Féin, qui le défendit bec et ongles.

Noraid, le soutien indéfectible de la cause républicaine

Le documentaire de RTÉ revient en détail sur Noraid (Irish Northern Aid Committee), l’organisation emblématique de l’aide américaine aux prisonniers républicains. Créée à la fin des années 1970, elle se développe dans les quartiers irlandais de New York, Boston ou Chicago, organisant loteries, soirées dansantes, ventes de billets, et même campagnes d’affichage à Times Square pour soutenir les prisonniers de l’IRA.

Dans les années 1980, les effigies de Margaret Thatcher sont brûlées dans les rues, des enfants frappent les couvercles de poubelles en signe de révolte, et les fonds collectés transitent par Dublin vers les structures de soutien aux familles républicaines. Galvin dirige le journal The Irish People, organe de propagande diffusé dans presque tous les États américains.

Le prêtre Patrick Moloney, figure haute en couleurs du Bronx, vend des tickets de tombola en robe de bure et explique avec humour qu’il ne rendait jamais la monnaie : « Je ne vais pas vous insulter avec un billet de retour ».

Une génération militante, jusqu’au sacrifice

Dans le documentaire, les témoignages se succèdent. Michael Shanley, vendeur de stickers pro-IRA, raconte comment certains activistes ont changé de métier pour se consacrer à plein temps à la cause. Chris Byrne, policier new-yorkais, joue de la cornemuse avec la NYPD Pipe Band… avant de se retrouver, en uniforme, dans une commémoration républicaine en Irlande.

Même Bernadette Devlin McAliskey, figure emblématique de la gauche nationaliste, vient témoigner au procès de Michael Flannery, fondateur de Noraid, accusé d’avoir participé à un trafic d’armes. Acquittés, les accusés fêtent leur victoire avec les jurés, montés sur scène, poings levés.

Mais à mesure que Sinn Féin s’engage sur la voie des négociations et du pragmatisme, Noraid devient un fardeau. Trop radicale, trop compromise avec la lutte armée. Martin Galvin, persona non grata du monde diplomatique, se voit peu à peu écarté. À Washington, l’organisation Friends of Sinn Féin prend le relais, policée, connectée au monde des affaires, capable de lever des fonds lors de dîners à 10 000 dollars l’assiette.

Galvin se voit alors signifier qu’il a « la mauvaise image ». Il est prié de « se mettre de côté ». Une trahison selon certains, une transition politique nécessaire selon d’autres.

Pas de regrets

Aujourd’hui encore, Martin Galvin demeure un activiste inflexible. Président de la commission « Freedom for All Ireland » au sein des Ancient Order of Hibernians, il continue d’agiter le drapeau de l’unité irlandaise. « Je suis un républicain irlandais intransigeant. Je n’ai aucun regret. Sauf celui de ne pas avoir vu naître une Irlande unie. »

À travers lui, c’est tout un pan de l’histoire irlando-américaine qui ressurgit : celle de ces fils et petits-fils d’immigrés qui ont voulu rendre au pays des ancêtres une liberté qu’eux-mêmes croyaient avoir conquise.

Crédit photo : DR

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