Rome comme école de civilisation : une autre manière de visiter la Ville éternelle. Entretien avec Alain Deblock

Ingénieur de formation, Alain Deblock n’est ni théologien, ni historien de l’art. Et pourtant, c’est avec une acuité rare qu’il propose une relecture profonde de Rome, loin des clichés touristiques et des guides aseptisés. Dans un monde occidental en perte de repères, son approche conjugue culture, foi et enracinement. Son guide, intitulé Guide de Rome. Aux sources de la civilisation chrétienne et occidentale (à commander aux éditions Salvator) invite à redécouvrir la Ville éternelle avec intelligence, émotion et profondeur spirituelle. Entretien avec un homme qui voit en chaque pierre romaine un appel à la transmission et à la conscience des racines.

Ce guide a été conçu par Alain Deblock, président de l’agence de voyages Terralto.

Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Alain Deblock : Ingénieur de formation, je ne suis ni historien, ni théologien, ni historien de l’art. Je suis venu à ce sujet par nécessité et par expérience, dans le cadre de mon travail d’organisateur de voyages.

Votre guide se présente comme une invitation à découvrir Rome non pas seulement avec les yeux, mais avec l’intelligence et l’âme. Quelle a été votre ambition première en écrivant ce livre : transmettre une culture, éveiller une foi, ou restaurer un regard occidental perdu ?

Alain Deblock : Ma première ambition a été très concrète : sauver un voyage scolaire organisé par TERRALTO. Un grand collège nous avait confié l’organisation d’un voyage de promotion à Rome. À son retour, le chef d’établissement s’est dit déçu par la qualité des visites, les professeurs accompagnateurs ne connaissant pas suffisamment Rome ou n’étant pas assez investis.

Pour permettre une seconde édition de ce voyage, j’ai proposé que nous sortions de notre rôle classique d’organisateur et que nous préparions des fiches de guidage destinées aux enseignants. Mon objectif était de leur permettre de transmettre tout en respectant les lieux visités, et en honorant les mémoires et les messages portés par ces lieux.

Chaque lieu, chaque œuvre est porteur d’un ou plusieurs messages. Ces messages peuvent être lus à travers l’histoire ou l’art, mais aussi dans une perspective spirituelle, théologique, voire politique. Trop souvent, faute de temps ou de médiation, les visiteurs n’y accèdent pas, et restent bloqués au premier niveau de perception : « C’est beau », « J’aime ».

Les guides traditionnels cherchent généralement à être exhaustifs et se concentrent sur les informations pratiques, parfois au détriment du sens et de l’émotion. Or, l’accès généralisé à ces informations via Internet nous libère : il permet de nous recentrer sur la médiation et la profondeur.

Certains craignent l’interprétation, comme certains historiens de l’art qui privilégient une lecture formelle, au risque de réduire l’œuvre à l’art pour l’art. Mon ambition est inverse : permettre à chacun d’entrer en dialogue avec les œuvres.

Quelles sont, selon vous, les grandes clés de lecture chrétiennes et occidentales que l’on oublie souvent dans la découverte de la Ville éternelle ?

Alain Deblock : Il est difficile de parler de clés chrétiennes oubliées. Le vrai oubli, c’est de parcourir sans regarder, ou de consommer du guide culturel ou de « la spiritualité préfabriquée » sans s’interroger.

Rome offre pourtant ces clés partout, dans l’histoire comme dans l’art. Il faut accepter de lire par soi-même, ou simplement de se poser des questions :

  • Dans les catacombes, pourquoi trouve-t-on autant de tombes d’enfants ? Parce que les chrétiens allaient recueillir les corps des nourrissons «exposés» ( c’est le terme usuel pour décrire le fait de refuser un nourrisson et de le jeter avec les poubelles) ou abandonnés par les familles — une pratique acceptée dans le monde païen — pour leur offrir une sépulture décente. On touche ici à une révolution anthropologique portée par le christianisme, qui reconnaît la dignité de toute vie humaine dès le début. Cette clé de lecture éclaire la position des chrétiens sur des questions contemporaines comme l’euthanasie ou l’avortement.
  • Dans le paganisme, le rituel comptait plus que tout : il fallait plaire aux dieux en faisant les choses comme il faut. C’est une religion de la forme, de la méritocratie rituelle. Le christianisme, lui, repose sur une relation : être aimé et aimer (Dieu et mon prochain). Le rite y est au service de la relation, non une fin en soi.
  • Devant un Caravage, ou devant toute œuvre véritablement habitée, on peut entrer en oraison. Cela suppose de prendre le temps, de regarder, de ressentir, et surtout de réfléchir librement à ce que l’on perçoit soi-même, et pas uniquement à ce que dit l’historien de l’art.

La véritable clé de lecture, c’est donc de chercher le message d’une œuvre ou d’un lieu. Que me dit-elle ? Que m’apporte-t-elle, à moi, ou à notre société aujourd’hui ? C’est accepter un dialogue entre raison, émotion et foi. Alors l’enracinement devient une évidence raisonnée.

Ce guide, dites-vous, est destiné aussi bien aux touristes qu’aux pèlerins. Comment concilier ces deux dimensions dans une même approche ? Et où placez-vous la frontière entre culture et spiritualité ?

Alain Deblock : Le but de ce guide est d’aider les touristes à mieux visiter et comprendre les lieux. Je ne vois pas pourquoi l’intelligence des lieux devrait être réservée aux seuls pèlerins. La religion fait partie de la culture, et inversement, la culture est présente dans la religion.

On tente souvent de dresser une frontière entre culture et religion, mais à mes yeux, cette séparation est artificielle. Elle traduit un refus, conscient ou non, d’assumer la dimension spirituelle de l’homme. C’est une vision intellectuelle désincarnée.

Rome est-elle à vos yeux une cité figée dans le marbre du passé, ou une cité encore vivante, agissante dans l’imaginaire collectif et spirituel ? Qu’avez-vous à dire sur l’état de saleté et de dégradation qui y règne aujourd’hui et qui fait que, parfois, y compris dans les quartiers historiques, on se sent dans un pays du tiers-monde ?

Alain Deblock : Quand je suis à Rome, je ne me sens pas dans un pays du tiers-monde. Ce ressenti me semble davantage correspondre à certaines banlieues françaises. Dire cela, c’est méconnaître Rome.

Oui, il y a parfois des grèves des éboueurs, et non, Rome n’est pas Bruges. Depuis l’Antiquité, les Romains ont un rapport très particulier à la propreté de leurs rues. Mais ses églises, ses places, ses musées, son architecture — rien de tout cela ne respire le tiers-monde. Tout est brillant.

L’histoire y est partout présente, elle converse avec nous, elle nous interpelle. Elle nourrit nos interrogations d’aujourd’hui.

En quoi Rome peut-elle encore aujourd’hui nourrir une résistance culturelle face à l’effacement des racines chrétiennes de l’Europe ?

Alain Deblock : Par son histoire, ses monuments, ses œuvres, Rome porte les messages fondateurs de notre civilisation. Les « témoins » du passé par leurs œuvres encore visibles aujourd’hui, ou les témoins d’aujourd’hui, sont porteurs de cette culture et des valeurs de notre civilisation chrétienne.

L’intelligence des lieux, de l’histoire et de l’art éclaire le dialogue souvent complexe entre la communauté chrétienne et la société qui évolue au fil des siècles. Dialogue marqué par les tensions, les peurs, les incompréhensions, mais aussi les ouvertures, les enrichissements, les erreurs et les joies. C’est une conversation inachevée.

Avez-vous conçu votre guide comme un manuel d’éveil esthétique, religieux ou politique — voire les trois à la fois ?

Alain Deblock : Au moins comme un éveil esthétique et religieux. Et, d’une certaine manière, aussi comme un éveil politique, au sens noble : en suscitant une conscience des racines culturelles et historiques qui nous façonnent.

Vous êtes président de Terralto, une agence de voyages. Quelle expérience du terrain, des groupes, des visites vous a le plus marqué et nourri dans l’élaboration de ce guide ?

  • La joie des jeunes et des adultes lors de l’audience papale.
  • La veillée quotidienne à Sainte-Marie-du-Trastevere, animée par la communauté Sant’Egidio, où les dorures de l’église prennent alors tout leur sens.
  • La visite du château Saint-Ange, qui révèle la complexité d’une Église mêlant pouvoir temporel, dérives et sanctification.
  • L’émotion ressentie dans le musée Pio Chrétien du Vatican, face aux pierres tombales.
  • La Pinacothèque du Vatican, qui permet même aux non-initiés à l’histoire de l’art de comprendre l’évolution de l’art, des primitifs aux classiques : la Renaissance.
  • Et enfin, la galerie Borghèse, le plus beau musée du monde à mes yeux — non par sa taille, mais par l’émotion qu’il suscite.

Quel conseil donneriez-vous à un lecteur qui veut voir Rome pour la première fois avec un regard “juste” ? Par quoi commencer ? Quel itinéraire proposez-vous pour une rencontre authentique avec la ville ?

Alain Deblock : Prendre le temps. Écouter ce que l’on ressent. Se laisser traverser par les questions. Ne pas chercher à tout voir, mais chercher à comprendre ce que l’on voit.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR

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