Il est des gestes que l’Histoire, dans son entêtement souverain, juge plus sévèrement que les discours. La visite d’Emmanuel Macron à Londres, quelques jours à peine après l’inauguration du monument aux marins français tombés à Mers el-Kébir, appartient à cette catégorie des palinodies diplomatiques qui froissent plus profondément qu’elles ne réconcilient. Il s’est rendu à Londres, tel un consul triomphant, salué par une presse anglaise sans pudeur qui le proclame « vainqueur » dans un sommet que The Telegraph n’hésite pas à baptiser « sommet de reddition ». On ne sait s’il faut en rire ou s’en offusquer, tant le langage de la capitulation semble désormais tenir lieu de diplomatie.

Qu’on me pardonne de ne point m’en émouvoir avec l’enthousiasme des gazettes. Je descends, par mon père, d’un chevalier normand, Bertram Ier de Verdun, compagnon de Guillaume le Bâtard dans sa tentative, réussie, hélas, de planter la tige normande sur le sol anglais. Par ma mère, je compte dans ma lignée des hommes qui se sont battus contre les Anglais à toutes les époques où cela fut possible. Six membres de ma famille maternelle furent ainsi mobilisés en même temps pour la guerre d’Indépendance américaine ; deux y laissèrent leur vie. De cette lignée de marins levés pour de Grasse, j’ai hérité l’appartenance aux Fils de la Révolution américaine. Vous comprendrez que les affaires de la Grande-Bretagne ne me laissent pas froid.

La rivalité franco-anglaise n’est pas un détail folklorique, ni une anecdote de rugby. C’est une structure historique de la conscience européenne. Et pour les Anglais, c’est bien plus encore : elle est consubstantielle à leur identité nationale. Il n’est pas une semaine sans qu’un journal d’outre-Manche n’éreinte quelque travers supposé du Français, n’ironise sur sa prétention, ne redoute son influence. Le Français hante le discours anglais comme un frère ennemi qui n’aurait jamais cessé d’être à la fois modèle et repoussoir. C’est là un trait psychologique profond, presque œdipien. L’Anglais ne se comprend que dans l’opposition au Français. L’inverse n’est pas vrai.

La France, dans son ingénuité diplomatique, se tourne vers l’Angleterre comme vers une cousine mal embouchée qu’il conviendrait d’amadouer. Chaque tentative de rapprochement, de l’affaire de Fachoda à Suez, s’est soldée par des concessions françaises, souvent dictées par un tropisme romantique pour l’anglophilie,ce virus de salon qui infecta même Napoléon III. Il sévit encore aujourd’hui sous des formes plus sournoises : voyez ces fils de bonne famille qui, pour marier quelque héritière, endossent la jaquette grise, le gilet perle et le pantalon rayé, imitation scrupuleuse du dandy victorien en partance pour Ascot. On se marie à Chantilly, mais on rêve de s’appeler Charles, de lire Dickens au coin du feu et de boire du Pimm’s en prononçant schedule à l’anglaise. L’anglophilie, en France importée par la misérable famille d’Orléans, est restée une forme de snobisme socia, comme si la conquête de l’élégance passait par l’imitation de ceux qui, historiquement, nous méprisent.

Je parle ici avec un sentiment personnel : le commandant Marchand, héros malgré lui de cette reculade africaine su les bords du Nil, était un ami proche de mon grand-père, officier de la coloniale. L’honneur qu’on sacrifia ce jour-là au nom de la raison d’État fut longtemps une plaie vive dans les conversations familiales. Et toujours, à la fin, l’Anglais s’est dégagé du contrat avec cette morgue naturelle que seule permet l’insularité.

Ce que les Français oublient trop souvent, les Anglais s’en souviennent avec un cynisme flegmatique. Il n’y a pas si longtemps, en 1940, la Royal Navy bombardait la flotte française à Mers el-Kébir, mouillée dans un port algérien, provoquant plus de mille morts, des marins pour la plupart bretons. L’objectif, à peine voilé, était d’offrir aux Américains la preuve de la fermeté britannique, à peu de frais. En ce sens, l’attaque de Mers el-Kébir n’est pas une trahison : c’est une constante de la politique anglaise, qui n’a jamais admis d’alliés qu’à condition de les dominer ou de les instrumentaliser.

Ce n’est pas un hasard si la défaite de Suez en 1956, orchestrée par les États-Unis et avalisée par l’Union soviétique, fut pour la France le signal d’une rupture salvatrice avec la politique de l’ombre portée britannique. À partir de ce moment, Paris se détourna de Londres et choisit la voie continentale, celle de l’axe franco-allemand, la seule qui puisse garantir à la France un destin européen autonome. En cela, le Brexit fut une bénédiction. Il extirpait de la construction communautaire le germe d’un sabotage libéral et atlantiste. L’Europe des nations pouvait enfin cesser d’être une succursale de la City.

Et pourtant, voici que la France de Macron, titubant sous le poids de ses déficits et de sa désindustrialisation, se tourne une fois de plus vers l’Angleterre, comme si le fantôme de la vieille alliance pouvait être ressuscité au moyen de quelques poignées de main et d’un dîner d’État. Ce prétendu « reset » vanté par The Times, migration, défense, Ukraine, repose sur du sable. Il cherche à substituer des symboles vides à des réalités divergentes : la France et l’Angleterre n’ont ni la même mémoire, ni les mêmes intérêts, ni le même rapport au monde.

Ce rapprochement ne trompe que ceux qui souhaitent être trompés. Il est l’aveu d’impuissance d’un président qui ne gouverne plus que par les ors de la République, et d’un Premier ministre britannique qui tente de maquiller l’échec du Brexit en amitié retrouvée. Ce qui les unit véritablement n’est pas l’enthousiasme d’un dessein commun, mais la nécessité tragique de faire face, à deux, à l’abîme de leurs finances publiques et à l’effondrement moral et démographique de leurs peuples.

Il n’y aura pas de salut franco-britannique. Il n’y en a jamais eu. Il faut se garder des illusions, et surtout de celles qui prennent la forme de la politesse diplomatique. Je ne crois pas au retour de l’entente cordiale, pas plus que je ne crois aux lendemains qui chantent. L’histoire enseigne, encore faut-il avoir lu autre chose que des notes de presse. La Fontaine, lui, savait : « Ils n’en mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ». Que le président Macron, en dînant à Windsor, n’oublie pas de se munir, comme l’exige la sagesse de l’apologue, d’une cuillère fort longue.

— Balbino Katz chroniqueur des vents et des marées

Crédit photo : DR

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4 réponses à “La perfide Albion et l’illusion du rapprochement”

  1. Gaï de Ropraz dit :

    Mers-el-Kebir devrait être dans toutes les têtes !
    Je n’en dirais pas plus sur nos « Dear English Friends » ….

    MERCI Balbino de le rappeler : Beaucoup de Français ont la mémoire courte …

  2. guillemot dit :

    Il ne faut pas perdre de vue que les anglais et les allemands sont avant tout des Saxons . Nous n avons rien de commun avec ces gens la . Chaque fois que nous avons eu la « perfide » Albion comme « alliée » ça n’a rien donné de bon pour notre pays. Comme son proche parent les Etats-Unis, la devise pour ces deux pays est « América-Great-Britain first ». L’Angleterre n’a consentie une alliance avec la France que si cela lui était profitable. Relire les manuels d’histoire.
    Merci à Balbino de remettre les pendules à l’heure.

  3. kan al louarn dit :

    Je n’ai jamais accepté le récit historique du massacre anglais de Mers-el-Kebir. Autant il fallait empêcher la remise entre les mains allemandes de la flotte française d’Algérie, autant ce massacre entre « alliés » fut inutile et désastreux car, à mon sens, jamais les marins français et souvent bretons n’auraient cédés leurs bateaux en l’état aux Allemands. L’histoire en est témoin : lors de l’envahissement allemand de la « zone libre », les navires français basés à Toulon ont été sabordés, sauf ceux qui ont réussi à fuir, pour éviter de tomber intacts entre les mains allemandes. Il a fallu bien du courage pour continuer la lutte avec de tels alliés mais nécessité fait loi…

  4. PL44 dit :

    « L’Angleterre n’a consentie une alliance avec la France que si cela lui était profitable »
    Evidemment !

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