Ce 14 juillet, pendant que la République française chantait la Marseillaise à tue-tête, le Tour de France a choisi son propre hymne : un air celtique au goût de trèfle et de sueur, entonné par un Irlandais à crinière et un Britannique libéré. À l’arrivée au Mont-Dore, ce n’est ni un Tricolore ni un Slovène qui a levé les bras, mais Simon Yates, auteur d’un solo élégant comme une pirouette de théâtre anglais. Et derrière lui, Ben Healy, insatiable baroudeur à l’accent de Dublin, s’offrait un maillot jaune que l’Irlande n’avait plus goûté depuis Stephen Roche en 1987.
L’étape ? Une charpente de montagne, huit difficultés à cocher sur le menu du jour, et 165 kilomètres de cavalcade dans le Massif Central. L’échappée, gigantesque comme une assemblée plénière du syndicat des grimpeurs, comptait jusqu’à 29 noms, dont Yates et Healy, bien sûr, mais aussi Arensman, Storer, Martinez, et toute une légion de jambes affûtées.
Yates, en vieux renard, a attendu le bon moment : à 3,4 kilomètres de l’arrivée, il allume la première mèche. Repris. Il relance à 2,3 kilomètres, et cette fois, plus personne ne reviendra. Arensman finira deuxième à 9 secondes. Healy, troisième, récolte le pactole : le maillot jaune, avec 29 secondes d’avance sur Pogacar.
La perf’ de Yates, troisième victoire sur le Tour, a le goût d’un retour en grâce. Après avoir ajouté le Giro à son palmarès ce printemps, le voilà qui danse à nouveau sur les hauteurs françaises. “Je ne pensais pas gagner aujourd’hui”, a-t-il confié. On appelle ça du flegme britannique.
Mais la vraie histoire du jour, celle que l’on racontera peut-être dans les pubs de Galway dans trente ans, c’est celle de Ben Healy, l’Irlandais feu-follet, déjà vainqueur à Vire, qui endosse le jaune avec un cran d’avance, le même jour où les Français n’ont rien vu venir. Il n’a pas gagné l’étape, non, mais il a su capitaliser sur les bons relais, refuser les mauvais, et viser juste, tout en laissant son cerveau visiblement sur le trottoir d’un Irish pub tant il a roulé, sans demander l’aide de personne, regardant droit devant à la façon d’un Marc Soler à qui on aurait demandé d’enchainer 600 bornes d’affilée à faire sauter le peloton. Quel panache ! À l’arrivée, il n’était pas un vainqueur, il était un héritier.
Derrière ? Pogacar a résisté, comme souvent. Visma a tenté une stratégie. Elle avait un plan nous disait-on. Une reconnaissance avait même été faite, et Pogacar devait vaciller. Résultat ? Une offensive à 25 kilomètres de l’arrivée, puis une autre à cinq bornes. On aurait cru voir le plan secret d’un stagiaire Movistar, époque 2012 : illisible, inefficace, inoffensif. Vingegaard a collé à la roue, mais n’a jamais daigné attaquer. Pogacar, lui, s’est contenté d’accélérer dans la montée finale pour vérifier que le Slovène était toujours vivant. Il l’était. Ils ont fini main dans la main, comme deux collégiens liés par une punition commune : attendre que la vraie bagarre commence.
Pas de feu d’artifice tricolore en ce 14 juillet, mais une belle prise de guerre tout de même : Lenny Martinez, 8e du jour, s’adjuge le maillot à pois, comme un clin d’œil à son grand-père Mariano, roi des montagnes en 1978.
Quant à Kévin Vauquelin, premier Français au général, il glisse à la 6e place. Il a craqué un peu, mais pas trop. Juste assez pour rappeler que dans ce Tour 2025, les Bleus sont courageux mais souvent spectateurs.
Aujourd’hui 15 juillet, le peloton respire. Journée de repos pour les mollets, les télévisions, les tacticiens approximatifs et les commentateurs exaltés. Demain, cap sur Toulouse, pour ce qui s’annonce comme un retour de plaine…avec un finish pour puncheurs, avant les Hautes-Pyrénées.
En attendant, Ben Healy est en jaune, Simon Yates a son triomphe, et Pogacar dort toujours avec la mine d’un homme qui connaît déjà la fin du film. Mais sait-on jamais. Le Tour a parfois de ces rebondissements que même les stagiaires de Movistar n’auraient pas osé prévoir.
YV
Crédit photo : Billy Ceusters (ASO)
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