Ceux qui pensaient que l’Histoire avait terminé sa course, que l’avenir se réduirait à l’ajustement graduel d’un modèle libéral, créolisé et incolore, gouverné par des consensus technocratiques, en sont pour leurs frais. Il suffisait d’une bifurcation, d’un de ces gestes inattendus qui bouleversent les lignes : le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, pour un second mandat plus incandescent encore que le premier. Comme si l’Amérique, lasse d’être humiliée par ses propres enfants, avait décidé de relever le menton.
Il faut le dire : la présidence Trump II est un séisme. Pas seulement pour les États-Unis, mais pour tout l’Occident, emporté bon gré mal gré dans le sillage de ce déraillement. En deux cents jours, l’homme au casque orangé a brisé plus de tabous que les diplomaties européennes en deux décennies. Il a bombardé l’Iran, réduit l’immigration clandestine à un filet d’eau, imposé des droits de douane punitifs à l’Europe, que celle-ci a acceptés avec un mélange de stupeur et de servilité, et fait voter une baisse massive des impôts. Les élites, qui ne jurent que par les conventions, crient à la folie. Le peuple, lui, appelle cela du bon sens.
À ceux qui voient dans Trump un fou furieux, un autocrate ou un clown dangereux, rappelons une vérité élémentaire : il tient ses promesses. Il agit vite, sans égard pour les formes, sans dissimuler ses intentions. Cela seul suffit à le distinguer des technocrates bavards et des présidents européens dont l’action se résume à des demi-mesures sous conditions. Comme le note Frank Luntz, vétéran des sondages politiques américains, aucun président depuis Franklin D. Roosevelt n’a accompli autant en si peu de temps, et aucun ne l’a fait avec des majorités parlementaires aussi ténues.
Ce retour du politique n’est pas sans provoquer des spasmes dans la classe dirigeante. Les médias progressistes américains, qui avaient cru enterrer Trump sous le ridicule, découvrent qu’il a pris le contrôle de l’agenda. Ce n’est plus eux qui font l’opinion, c’est lui. Les grandes marques, qui avaient naguère cédé aux caprices des minorités offensées et au lexique brumeux du wokisme, reviennent timidement à la raison. Une publicité pour des jeans féminins, élégants, sobres, sans drapeau arc-en-ciel, a fait davantage pour le retour du réel que mille éditoriaux. Il flotte dans l’air un parfum de restauration.
Et voilà qu’au sein du monde occidental, parmi les chefs d’État, un seul ose nommer ce que tous les autres taisent avec lâcheté : la disparition programmée de la civilisation européenne, sous le double effet de l’immigration incontrôlée et de l’islamisation rampante. Il n’y a que Trump pour dire à haute voix ce que les chancelleries, les évêques et les éditorialistes murmurent entre eux, à huis clos : que l’Europe est en train de devenir autre chose, une entité post-historique, sans mémoire, sans mœurs, sans volonté propre. Il ne parle pas comme un anthropologue mais comme un veilleur. Il dit que l’Europe mourra si elle ne se réveille pas.
Or c’est justement parce qu’il est américain, étranger à cette agonie feutrée, que Trump peut la nommer. Comme Spengler, qui voyait dans le déclin de l’Europe moderne une répétition de la chute de Rome, il perçoit ce que les Européens refusent encore d’admettre : que leur civilisation est en train de mourir. Trump est aujourd’hui, presque seul parmi les chefs d’État occidentaux, celui qui affirme que l’Europe existe encore, mais à la manière d’un organisme maintenu artificiellement en vie.
Au fond, Trump n’a pas changé. C’est le monde autour de lui qui se délite. Face à une Europe qui s’efface dans ses illusions droit de l’hommistes, à une France qui préfère le gouffre budgétaire à l’effort, l’Amérique trumpienne rappelle que la puissance reste une option disponible. Le traité inégal imposé à l’Union européenne, les coups d’épaule diplomatiques donnés à l’OTAN, l’expulsion brutale des clandestins : tout cela témoigne d’un retour à la politique dans sa forme nue, schmittienne, où le rapport de force prime sur les procès d’intention.
Bien sûr, il y a un coût. Le pays est divisé. La presse est hystérique. L’université gronde. Les juges se raidissent. Tout cela est vrai. Mais tel est toujours le prix d’un retour au réel : il faut rompre les équilibres factices, bousculer les clergés idéologiques, désacraliser les simulacres. Spengler l’avait compris mieux que d’autres : quand la culture se fige en civilisation, ce ne sont plus les idées qui portent les peuples, mais la volonté nue, ce qu’il appelait le geste faustien d’un homme qui, même à l’heure du crépuscule, ose encore imposer sa forme au monde.
Et ce geste, Trump l’incarne. Son vice-président, ce rhéteur des plaines, électrise les foules et remodèle l’horizon intellectuel. À défaut d’un vrai renouveau conservateur européen, les regards se tournent vers Washington comme autrefois vers Rome ou Constantinople. Non pour s’y soumettre, mais pour y puiser le courage du réel.
Cependant, ce geste reste inachevé. Comme l’a justement noté Mark Weber, Trump n’a pas encore de modèle à proposer, sinon celui de la démolition du modèle progressiste. Il détruit, il déconstruit, il interdit à la gauche de faire société, mais que veut-il bâtir à la place ? Quelle Amérique défend-il au juste ? Quelle place accorde-t-il, explicitement, aux Euro-Américains dans le destin national ? Sur ces points, le silence est profond. Car le conservatisme américain, pour vigoureux qu’il soit, n’a pas encore atteint le degré de maturité doctrinale que permettrait une vision organique du monde. C’est là, justement, que les lectures venues d’Europe prennent racine : les traductions d’Alain de Benoist, de Guillaume Faye, ou d’autres penseurs identitaires se vendent bien aux États-Unis, parce qu’elles comblent un vide, elles offrent un cadre que l’instinct seul ne suffit plus à maintenir.
Alors, la question se pose. Que faire de ce moment ? L’imiter ? Le rejeter ? L’ignorer ? L’Europe, et la France en particulier, sont à la croisée des chemins. Ou bien nous persistons à dilapider notre capital industriel et démographique dans les songes creux de l’État-providence sans frontières, ou bien nous assumons le choc, la rugosité, le retour du politique. Grâce à Trump, la possibilité d’un réveil n’est plus un fantasme. Elle devient une hypothèse historique.
Encore faut-il la saisir.
Balbino Katz — chroniqueur des vents et des marées
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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