Winston Churchill. Pas touche au dernier dieu de la gauche morale

Il n’est pas un café de Paris, pas un éditorial du Monde, pas un collège de province où l’on n’enseigne aux âmes sensibles de nos enfants que la guerre de 1939-1945 fut la guerre juste, celle du Bien contre le Mal. Et Winston Churchill, figure ventrue, cigare en main et regard martial, trône en sentinelle de ce roman national britannique importé dans la conscience européenne comme une hostie laïque, sanctifiée par Hollywood. Le Times, la BBC, de Gaulle, Roosevelt, l’ONU, tout concourt à sa transfiguration. Ne touchez pas à Churchill, tel est le mot d’ordre.

Et pourtant, depuis quelques années, quelques voix, souvent anglo-saxonnes, parfois grossières mais courageuses, s’élèvent pour dire que le récit est bancal. Que l’Allemagne de 1939 n’était pas seule en faute. Que la guerre aurait pu être évitée. Que le choix britannique de la guerre à outrance, sans logique militaire ni perspective diplomatique, fut dicté non par le sens de la justice, mais par une haine viscérale de l’Allemagne redevenue puissance. Et que cette haine, Churchill en fut l’organe aveugle, le bras armé de rancunes impériales.

C’est ce que ne supporte pas Le Monde, dans l’article signé Valentine Faure, où l’on feint de s’indigner des propos de Tucker Carlson et de son invité Darryl Cooper. Tout le texte est construit sur un procédé bien connu : pointer une énormité (ici, Winston Churchill déclarant la guerre en 1939), pour discréditer l’ensemble d’une lecture alternative. Ce que Le Monde ne dit pas, c’est que de nombreux historiens sérieux, au-delà des forums de Reddit ou des podcasts de culturistes enragés, ont émis les mêmes doutes. Il faut lire John Charmley, Clive Ponting, Corelli Barnett, ou Madhusree Mukerjee pour découvrir les zones d’ombre, les calculs sordides et les drames induits par les choix churchilliens.

Que l’on se rappelle Mers el-Kébir, où la flotte française désarmée fut bombardée par un allié d’hier au nom d’une stratégie qui relevait davantage de l’obsession et de la posture pour épater la galerie américaine que du bon sens. Que l’on médite sur l’appui secret, mais documenté, que Churchill reçut des services tchécoslovaques entre 1936 et 1938 pour maintenir son discours belliciste contre Berlin. François Kersaudy l’a rapporté dès 1981 dans une biographie pourtant peu suspecte de sympathie fasciste. Cette collusion, si elle ne fait pas de Churchill un agent, confirme qu’il fut l’instrument volontaire d’une puissance étrangère qui voulait précipiter l’Europe dans la guerre pour sauver ses propres intérêts.

Ce que Le Monde protège ici, sous prétexte de vigilance mémorielle, c’est la mythologie fondatrice de la gauche morale. Celle qui postule que la Seconde Guerre mondiale a définitivement tranché la question du Bien et du Mal, que l’Occident libéral en fut le sauveur, et que quiconque ose interroger ce récit devient ipso facto un nostalgique du Troisième Reich. Une telle logique est d’une pauvreté intellectuelle navrante. Elle empêche la lucidité, proscrit la nuance, et interdit toute relecture, même honnête, des tragédies du XXe siècle.

Le plus risible, peut-être, est ce passage où Valentine Faure, citant un historien allemand, accuse la nouvelle droite américaine de « sacrifier rituellement une icône de l’ancien Parti républicain ». Comme si Churchill n’était qu’un fétiche que les paléoconservateurs américains voudraient décapiter pour mieux asseoir leur propre pouvoir. Cette lecture psychanalytique, qui mêle néo-nazisme, masculinité toxique et peur panique de la gauche woke, sent le délire de faculté. Elle ne masque qu’à peine l’angoisse profonde de voir le monopole moral changer de camp.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. La gauche occidentale sent que son dernier récit incontestable lui échappe. L’antifascisme de confort, la commémoration mécanique du 8 mai, les discours vides sur la démocratie contre la haine, tout cela ne parle plus à une jeunesse désabusée, qui voit que la liberté est ailleurs, que les identités s’effacent, que l’Europe ne croit plus en elle-même. Et alors, elle s’accroche à Churchill comme à un bouée dans le torrent.

En vérité, la doxa vacille. Pas à cause de Tucker Carlson ou de quelque YouTuber exalté, mais parce que l’Histoire n’est jamais figée. Elle demande à être relue, débattue, assumée. Et c’est bien cela qui effraie ceux qui n’ont plus que le passé pour légitimer leur présent.

Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées

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6 réponses à “Winston Churchill. Pas touche au dernier dieu de la gauche morale”

  1. Pschitt dit :

    Toute guerre est une guerre du bien contre le mal, ou plus exactement une guerre du bien de l’un contre le bien de l’autre (« Gott mit uns ! »). L’entretien entre Tucker Carlson et Darryl Cooper, qui date de septembre dernier, au fait, relève du wokisme : il cherche à déboulonner une idole. Tiens, pour une fois, le wokisme aurait raison quand il s’appelle révisionnisme ?

    Pourquoi pas, d’ailleurs, mais à condition de s’appuyer sur des faits et pas sur des élucubrations façon Darryl Cooper, comme l’explication des camps de la mort par le grand nombre de prisonniers de guerre (pour mémoire, la grande masse des prisonniers de guerre est arrivée en 1940, alors que ce qu’on appelle les camps de la mort n’ont été construits qu’à partir de début 1942 pour des civils).

    Que Churchill ne soit pas un ange et que son action soit critiquable à de nombreux égards (ou plus généralement que la Deuxième Guerre mondiale n’ait pas été telle qu’on la raconte), cela a été démontré par de plusieurs auteurs sérieux, comme vous le rappelez. Faudrait-il un auteur pas sérieux comme Darryl Cooper pour que cette idée soit prise au sérieux ?

    Le wokisme de gauche est en plein recul, parce qu’après avoir séduit un temps par des idées originales et radicales, il se ridiculise par des affirmations insoutenables et des constructions intellectuelles branlantes. Le wokisme appelez-le-comme-vous-voulez à la Tucker Carlson compromet les causes même dont il s’empare : ce ne serait pas la première fois que des thèses justes sont étouffées à cause de supporters zélés mais délirants.

    Quant à la personne de Churchill, ce qui en fait une icône ne réside pas dans ses motivations douteuses ou ses manoeuvres occultes, réelles ou supposées, mais dans son rôle à la tête du Royaume-Uni de 1940 à 1945. C’est un chef de guerre vainqueur. Une icône n’est pas faite par elle-même mais par la « vox populi ».

  2. NEVEU Raymond dit :

    Il s’exprime bien Pschitt même si je préfère Orangina secouez-moi secouez-moi!

  3. dl dit :

    Winston Churchill icone de la gauche ? Etrange pour un MP ultra conservateur.
    En UK, on ne peut meme pas citer les ecrits de W. Churchill 1912, ecrits juges racistes, les juges ont condamnes pour cela.
    Meme logique avec De Gaulle recupere comme le rempart de l’extreme droite alors qu’il fut un lecteur assidu de Mauras, et dont on ne peut meme pas citer ‘C etait De Gaulle A. Peyrefitte ».

  4. François Arondel dit :

    Un bel exercice de révisionnisme ! Il n’est nul besoin d’être un admirateur de Churchill pour reconnaître qu’il avait raison de vouloir abattre l’Allemagne nazie qui a voulu la seconde guerre mondiale. Le belliciste, ce n’était pas Churchill mais le sinistre moustachu.
    En France, Tardieu pensait, lui aussi, dès 1936, qu’il fallait écraser l’armée allemande.

  5. nicole dit :

    Churchill est responsable du Bombardement de la flotte française à Mers-El-Kebir, en juillet 1940.
    Plus d’un millier de marins français (nombreux Bretons) ont eu une mort atroce..

  6. du Rivault dit :

    Le journaliste et historien Éric Branca donne une excellente analyse de l’avant guerre 1939-45 en particulier dans « L’aigle et le Léopard ».
    Un journaliste anglais a publié « Churchill the mad dog ». Chaque page gauche est une décision de Churchill paru dans la presse britannique, la page de droite montre les conséquences de cette décision.

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