Le mois d’août a ses rituels : les cigales s’épuisent, les vacanciers se pressent sur la route du retour, et les forçats du vélo, ces chevaliers des temps modernes, s’élancent sur les routes brûlées de la péninsule ibérique. La Vuelta, c’est la troisième sœur des grands tours, souvent la moins courtisée mais parfois la plus cruelle. Elle n’offre ni le prestige millénaire du Giro ni la solennité du Tour de France, mais elle sait se venger par des pourcentages assassins et des après-midi de braise où le goudron colle aux boyaux.
Créée en 1935, née dans les convulsions d’une Espagne qui s’enfonçait dans la guerre civile, la Vuelta fut longtemps le parent pauvre, l’épreuve d’arrière-saison qu’on disputait faute de mieux. Mais elle a su se forger une identité : celle des montées impossibles, des étapes courtes mais explosives, et des héros improbables qui y écrivent leurs dernières pages de gloire. De Bahamontes à Perico Delgado, d’Heredia à Contador, la Vuelta est devenue la corrida cycliste où les grimpeurs viennent planter leur banderille dans les flancs du peloton.
2025 : Vingegaard le taureau à abattre
Cette 80e édition (23 août – 14 septembre) s’annonce sans Roglic, quadruple vainqueur, mais avec Jonas Vingegaard en grand matador. Le Danois, deux fois vainqueur du Tour de France, a les épaules larges et la tête froide. Derrière lui, une armada Visma prête à le conduire jusqu’à Madrid. Mais en Espagne, on aime renverser les pronostics : l’orgueil local porte un nom, Juan Ayuso, 22 ans, déjà prophète en son pays, et qui rêve de détrôner l’homme du Nord. À ses côtés, son compagnon portugais Joao Almeida, portugais méticuleux, gestionnaire hors pair, devra répondre présent lorsque la route décline.
Egan Bernal, ombre d’un mirage colombien, veut achever sa quête inachevée. Ciccone, enflammé, peut illuminer cette Vuelta de son panache. Landa, Hindley, Tiberi : tous portent un passif et un avenir à la fois. Chez les Français, Gaudu et Martin expliquent en silence qu’on peut encore souffrir pour exister — et c’est cela, le courage, à la fin.
Les jeunes loups aussi, Pellizzari, Tulett, Bisiaux, attendent le moment où le peloton s’étire, où l’échappée devient légitime, pour exploser dans un souffle inconnu.
Le vert, pour les sprinteurs ou les puncheurs : Pedersen est taillé pour, mais Pidcock, volatile et affuté, pourrait lui piquer les bonbons. Le maillot à pois convoite l’ascension régulière, sait que chaque col construit le vrai classement. Pourquoi pas Fortunato, ou Castrillo, révélation de l’an passé ? Et ce blanc immaculé, plus délicat à décrocher, semble promis à Ayuso, sauf explosion d’un Tiberi audacieux.
Une Vuelta au sable recadrée
Pas de montagnes brûlées du sud, pas de rideaux de brume andalouse. La Vuelta est avant tout verticale, minérale, hachée par les altitudes abruptes et les vents subtils. Cette année, elle suivra le fil des altitudes françaises reconverties, les sommets plus doux où l’oxygène vous mord la langue, où la moindre erreur se paye cash. Une corrida moderne, dans laquelle chaque coup de pédale ressemble à un vers que l’on écrit avec la douleur.
Plus qu’une course, la Vuelta reste une parabole. Elle rappelle que l’Espagne est terre de résistances, de rébellions, de héros fatigués. Elle est ce troisième acte où l’on solde les comptes de la saison : sauver l’honneur, arracher un contrat, ou plier définitivement le genou. Dans les soirs rouges de septembre, Madrid attendra son vainqueur. Peut-être Vingegaard, en conquérant nordique ; peut-être Ayuso, enfant du pays devenu roi. Ou bien un autre, surgissant de nulle part, comme souvent en Espagne, où la Vuelta aime faire mentir les certitudes.
En attendant, les coureurs affûtent leurs jambes et leurs âmes. Car la Vuelta, plus que les autres, réclame une vertu rare : celle de souffrir avec panache.
YV
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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