Ce samedi matin, au bar des Brisants, la pluie tombait en nappes serrées, frappant les vitres comme un tambour de guerre. Les ruelles de Léchiagat étaient désertes, et jusqu’aux mouettes avaient plié leurs ailes, réfugiées quelque part derrière les rochers. Dans ce silence humide, j’ai ouvert le Figaro, et je suis tombé sur l’article de Vincent Jolly consacré à cette « nouvelle droite américaine » qui a trouvé ses hérauts non pas dans les parlements, mais dans les studios improvisés de YouTube et les tréteaux numériques de TikTok. Charlie Kirk, assassiné il y a quelques jours dans l’Utah, y tient le premier rôle.
L’auteur décrit avec exactitude ce monde nouveau : des jeunes gens sans mandat, sans titre officiel, mais dont les vidéos mobilisent chaque jour des millions d’esprits. Ils ont compris que la guerre culturelle ne se gagne plus par des livres pesants ou des tribunes austères, mais au cœur des campus, dans l’arène des réseaux où la rhétorique se mêle à l’humour, où la controverse devient spectacle. Ben Shapiro, l’avocat de Harvard au verbe acéré, fut le premier de cette lignée. Kirk, plus populaire, plus direct, lui a emboîté le pas, transformant chaque amphithéâtre en champ de bataille.
Ces figures, rappelle le Figaro, fréquentaient les antichambres du pouvoir républicain, conseillaient l’entourage de Trump, et façonnaient, sans mandat électif, l’âme d’un parti. Shapiro, Walsh, Owens, Crowder : une galaxie entière, articulée autour de The Daily Wire, empire numérique qui draine des dizaines de millions de dollars et impose son tempo aux débats publics. La gauche, divisée, engoncée dans ses cénacles médiatiques, n’a pas trouvé d’équivalent.
Et pourtant, cette droite américaine, si brillante dans la forme, m’apparaît singulièrement creuse. Elle polémique, elle bouscule, mais elle reste enfermée dans l’horizon abstrait du libéralisme : la défense d’une Amérique réduite à des « valeurs », à une idée désincarnée, sans chair ni mémoire. Or une civilisation n’est pas un slogan, elle est un corps. Shapiro excelle à manier le scalpel, Kirk savait provoquer, mais aucun n’a osé dire ce que nous savons, nous Européens : qu’il n’est point de liberté sans enracinement, point de nation sans continuité charnelle.
C’est ce que nous avons appris en France, parfois dans la douleur. Nous fûmes marginalisés, jetés aux gémonies, traités en pestiférés par les journaux. Nos carrières brisées, nos noms traînés dans Libération ou dans Ouest-France, nous avons connu la proscription moderne. Mais dès 1968, une contre-offensive s’est levée. Le GRECE, la revue Éléments, les figures singulières de Guillaume Faye et d’Alain de Benoist, ont ouvert une brèche. Ils ont rendu à la droite française une profondeur de pensée que l’Amérique ignore encore. De cet héritage naissent aujourd’hui l’Institut Iliade et d’autres écoles, formant chaque année de nouvelles générations.
Là-bas, aucun Kirk, aucun Shapiro n’a osé ce pas décisif. Aucun, sauf peut-être Nick Fuentes. Voilà le nom que le Figaro omet, et c’est pourtant celui qui concentre aujourd’hui les regards. Né en 1998, d’ascendance européenne, avec un seul grand-parent mexicain, il ne se revendique nullement « hispanique », mais au contraire blanc et chrétien. Son style tranche radicalement avec celui des conservateurs installés. Là où Shapiro cisèle des arguments comme un juriste et Kirk provoquait dans les amphithéâtres, Fuentes improvise à cru, torrent verbal et ironique, dans des marathons de streaming suivis par des centaines de milliers de spectateurs.
Son audience est loin d’être marginale. Réintégré sur X en 2023, il a franchi en 2025 le cap des 850 000 abonnés, avec des posts qui atteignent parfois deux millions de vues. Sur Rumble, son émission America First rassemble régulièrement entre 40 000 et 150 000 spectateurs en direct, avec des pics dépassant les 200 000 lors de l’assassinat de Charlie Kirk. Ses vidéos y totalisent des centaines de milliers de vues chacune, et ses canaux parallèles – Telegram, Cozy.tv, Gab – ajoutent encore des dizaines de milliers de fidèles. Cette communauté, les « Groypers », composée surtout de jeunes hommes blancs de 18 à 30 ans, vit dans un univers en ligne soudé, fait de mèmes, de provocations et d’un humour corrosif, mais où s’exprime une angoisse profonde : celle du déclin démographique et culturel.
Ce n’est donc pas une simple niche. Ses prises de parole ont hissé ses directs au troisième rang des audiences live américaines en septembre dernier. Ses rassemblements physiques restent modestes, quelques centaines de participants, mais son influence est dans les réseaux, dans la fabrique de cette contre-culture qui refuse le conservatisme « pop » et désincarné de Shapiro, et qui cherche un discours enraciné, identitaire, quitte à sombrer dans l’excès et la provocation.
C’est pourquoi Fuentes cristallise une fracture qui pourrait bien dessiner l’avenir de la droite américaine. D’un côté, le conservatisme médiatique, riche, institutionnel, calibré pour le grand public. De l’autre, une mouvance identitaire portée par ces minorités ardentes dont parlait Jünger, prêtes à rompre avec le consensus, à bâtir une forteresse plutôt qu’un forum. Et l’histoire, souvent, donne raison aux minorités intransigeantes.
Voilà ce que l’article du Figaro tait. Il voit la surface chatoyante, les millions de vues et les empires médiatiques, mais il ne saisit pas le cœur de la question, celle que Spengler formulait déjà : le destin d’une civilisation n’est pas affaire de technique, mais de profondeur spirituelle. Là se jouera l’avenir, et malgré nos faiblesses, malgré notre isolement, je crois que la France a pris de l’avance.
Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées
[cc] Article relu et corrigé par ChatGPT.
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