Plus de cinquante ans après le Bloody Sunday, l’un des épisodes les plus sanglants du conflit nord-irlandais, la justice britannique juge aujourd’hui un ancien parachutiste, connu sous le nom de « Soldier F », accusé du meurtre de deux hommes et de cinq tentatives de meurtre lors de la fusillade du 30 janvier 1972 à Derry.
Un procès attendu depuis des décennies
Le 30 janvier 1972, treize manifestants pacifiques de l’Association nord-irlandaise pour les droits civiques furent abattus par le 1er bataillon de parachutistes britanniques dans le quartier du Bogside, à Derry. Une quatorzième victime succomba à ses blessures quelques mois plus tard. Parmi les soldats impliqués, seul « Soldier F » est aujourd’hui poursuivi. Protégé par une ordonnance de justice garantissant son anonymat, il comparaît devant la Belfast Crown Court, accusé du meurtre de James Wray (22 ans) et de William McKinney (26 ans), ainsi que de cinq tentatives de meurtre. L’ancien militaire a plaidé non coupable.
Selon le procureur Louis Mably KC, les tirs de Glenfada Park, dans le Bogside, furent « injustifiés » : « Les victimes étaient désarmées et ont été abattues alors qu’elles fuyaient. »
Il accuse les soldats d’avoir ensuite fabriqué de faux témoignages, prétendant que les civils étaient armés. « C’était manifestement faux », a-t-il insisté. Plusieurs survivants de la fusillade doivent témoigner au procès. L’accusation décrit des tirs dans le dos ou sur le côté de civils qui tentaient de s’échapper, parlant d’une perte de contrôle « qui a déshonoré l’armée britannique ».
Le procès s’appuie notamment sur les déclarations d’Ivan Cooper, député protestant et cofondateur du SDLP (Parti social-démocrate et travailliste), qui avait organisé la marche anti-internement du Bloody Sunday . Dans un témoignage donné en 2015, il décrivait une « atmosphère de carnaval » avant la tragédie, puis le chaos : tirs nourris, « balles sifflant autour de lui » et « cris de femmes en détresse ». Cooper, décédé en 2019, expliquait avoir dû « vivre avec la responsabilité » d’avoir conduit des milliers de personnes dans la rue ce jour-là.
Soutien des familles, colère des vétérans
L’ouverture du procès a été marquée par une marche de familles et de soutiens des victimes jusqu’aux Royal Courts of Justice de Belfast. « C’est un jour de fierté et de dignité », a déclaré John McKinney, frère de William, affirmant que les familles « sont du bon côté de l’Histoire ».
Mais ce procès est dénoncé de longues dates dans les milieux unionistes et associations d’anciens combattants. David Johnstone, commissaire aux vétérans d’Irlande du Nord, fustige une « diabolisation massive des anciens soldats » et réclame un « processus équitable et équilibré », rappelant que « la grande majorité des 300 000 militaires déployés en Ulster ont agi avec retenue et professionnalisme ». Du côté des unionistes/loyalistes, on y voit une atteinte de plus à la couronne britannique (depuis quelques années, des drapeaux ou banderoles, comme la photo d’illustration, défendant le « Soldier F » ornent certains quartiers.
Le Bloody Sunday est devenu l’un des symboles les plus marquants des Troubles : une fusillade de masse commise par l’État contre des civils, qui alimenta l’hostilité nationaliste contre Londres et contribua au recrutement massif de l’IRA provisoire. Déjà deux enquêtes officielles avaient conclu à la responsabilité des parachutistes. Le Saville Report de 2010 avait jugé les tirs « injustifiés et injustifiables », amenant le Premier ministre David Cameron à présenter des excuses publiques.
Aujourd’hui, le procès de Soldier F incarne la bataille mémorielle toujours vive en Irlande du Nord : pour les familles, c’est l’ultime chance d’obtenir justice ; pour les anciens militaires, c’est une « chasse aux sorcières » qui ne dit pas son nom.
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