Il faisait un de ces soirs d’équinoxe à Lechiagat, quand le vent s’engouffre sous les portes et que le bar des Brisants devient ce refuge marin où la mer et la politique se confondent en un même tumulte. Là, entre deux verres de muscadet et le brouhaha des pêcheurs retraités, je lus dans La Nación un texte de Carlos Pagni au titre éloquent, El gobierno, ante un infierno astral. Tout y est dit, dans cette métaphore empruntée à l’astrologie populaire du Brésil, qui nomme « enfer astral » les jours d’infortune précédant un anniversaire. L’Argentine vit ces heures-là, et son président Javier Milei, enfant du tonnerre, semble attiré comme une mouche vers la flamme.
Les chiffres sont cruels. Le dollar s’envole, les marchés s’affolent, les promesses d’apaisement venues de Washington se dissolvent comme sel dans l’eau. Le soutien proclamé du secrétaire au Trésor de Donald Trump, censé garantir le paiement de la dette argentine, n’a pas suffi à redonner confiance. Les investisseurs continuent de fuir, les écarts entre les différents taux de change se creusent à nouveau. En bref, la monnaie argentine retrouve ses vieux démons, et avec elle la panique de la foule, si bien décrite jadis par Pareto. L’homme de la Casa Rosada n’est plus maître du tempo, il subit.
Or ce reflux monétaire se double d’une tempête politique. L’affaire José Luis Espert, accusé de financements douteux liés à un narcotrafiquant, a précipité le gouvernement dans la tourmente. Les dénégations brouillonnes de Milei, son style bravache, n’apaisent rien. Le voilà réduit à balayer d’un revers de main les soupçons qui s’accumulent autour de sa sœur Karina, figure centrale de son pouvoir, et à qualifier de « ragots de salon » ce qui relève d’enquêtes judiciaires. Le scandale, relayé par ses propres alliés, met à nu une réalité triviale: le pouvoir libertarien, qui se voulait intransigeant, est rongé de l’intérieur par le soupçon de corruption et par une impréparation sidérante.
Au-delà des intrigues et des malversations, se pose une question plus simple: Milei peut-il conserver l’appui populaire qui l’a porté au pouvoir? Sa victoire reposait sur la promesse d’un ordre nouveau, d’un libéralisme de choc qui devait assainir le pays en mettant fin aux compromissions du péronisme. Aujourd’hui, cette promesse se heurte à l’éternelle malédiction argentine: l’improvisation, les demi-mesures, l’alliance fatale entre idéologie et clanisme. Spengler écrivait que les civilisations meurent moins d’agressions extérieures que de leur incapacité intérieure à affronter le tragique de l’histoire. L’Argentine, hélas, illustre ce destin en miniature.
Tout se jouera désormais dans les urnes. Les élections prochaines peuvent encore offrir à Milei une planche de salut, à condition qu’elles ne se transforment pas en désastre. Si la défaite est trop lourde, ni les dollars de Trump, ni les cris libertaires ne suffiront à maintenir en vie un gouvernement déjà atteint de consomption morale. Au bar des Brisants, un marin me souffla: « En mer, celui qui perd la confiance de son équipage est déjà condamné, même si la coque tient encore ». Tel est le sort du président argentin, qui doit retrouver la boussole avant que la houle n’engloutisse sa barque.
Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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