Le documentaire « 1960, Bretagne en révolte : 20 ans de luttes contre l’État français » revient sur deux décennies où une partie de la Bretagne s’est soulevée contre un État centralisateur perçu comme sourd à ses réalités. Le film, dense et précis, déroule un récit qui commence au tournant des années 60, lorsque la région figure encore parmi les plus pauvres de France, condamnée à l’exode de sa jeunesse et handicapée par un retard industriel criant. Les témoignages rappellent une Bretagne marginalisée, décrite à l’époque comme « en état de sous-développement », où l’idée même d’un avenir local semblait illusoire pour nombre de jeunes Bretons.
Ce terreau de frustrations nourrit d’abord la colère du monde agricole. Les luttes paysannes, menées notamment par Alexis Gourvenec et les producteurs du Léon, marquent l’un des premiers grands sursauts bretons de l’après-guerre. Les actions spectaculaires, dont l’épisode de Morlaix en 1961, témoignent de la détermination d’une Bretagne rurale qui refuse désormais de subir, qu’il s’agisse des prix agricoles, des structures commerciales ou du mépris administratif. Parallèlement, le CELIB de Joseph Martray réveille la région par un travail de fond : élus, économistes et chefs d’entreprise y réfléchissent ensemble à un développement que Paris n’a jamais initié. Pour la première fois depuis longtemps, des Bretons affirment que leur destin dépend aussi d’eux-mêmes.
À partir du milieu des années 60, une nouvelle génération de militants entre en scène. Marqués par la guerre d’Algérie, les jeunes du MOB, puis de l’UDB et des mouvements culturels de l’Emzao, explorent d’autres formes d’engagement. Beaucoup découvrent brutalement l’ampleur du fossé entre la Bretagne réelle et l’image renvoyée par l’État français. Pour certains, les actions symboliques et culturelles ne suffisent plus.
C’est dans ce contexte que naît la clandestinité du FLB. Le documentaire raconte ce passage à l’action directe, avec ses méthodes artisanales, ses réseaux modestes et sa volonté d’alerter l’opinion. Des perceptions plastiquées aux bâtiments administratifs visés, ces actions cherchent avant tout à frapper des symboles, tout en évitant officiellement de viser des personnes. Les anciens militants témoignent de ce glissement progressif vers une lutte qui se veut spectaculaire, et qui sera accueillie avec une vigilance croissante par l’État.
Les années suivantes sont celles des arrestations, des longues gardes à vue, des surveillances de la DST et des procès devant la Cour de sûreté de l’État. Le film montre la manière dont l’appareil d’État, encore marqué par la lutte contre l’OAS, traite les militants bretons comme une menace politique. Les récits d’incarcération, d’isolement et de pression psychologique rappellent que le climat était alors particulièrement tendu. L’amnistie prononcée par Georges Pompidou en 1969 marque une parenthèse, mais ne met pas fin aux tensions. Les années 70 voient les mouvements se fragmenter, parfois se radicaliser, alors que d’autres militants choisissent la voie syndicale ou politique. Certaines actions, comme l’attentat de Roc’h Trédudon en 1974 ou celui du château de Versailles en 1978, provoquent une répression accrue et divisent profondément les acteurs du mouvement.
Au fil du documentaire, les témoins soulignent que la revendication bretonne n’est jamais homogène. Nationalistes, syndicalistes, autonomistes, écologistes, militants culturels : une mosaïque de sensibilités cohabite et parfois s’oppose. Les réseaux évoluent, les responsabilités se brouillent, et l’État multiplie filatures et infiltrations. Plusieurs interventions évoquent la manière dont certains groupes ont pu être manipulés ou surveillés de près, dans un jeu trouble où se mêlent clandestinité, renseignements et illusions militantes.
Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 et la suppression de la Cour de sûreté de l’État par Robert Badinter, une page se tourne. Les amnisties élargies mettent fin à une grande partie des poursuites, même si quelques actions isolées surviendront encore jusqu’aux années 80. Le drame de Quévert en 2000, jamais revendiqué et resté entouré d’ombres, met définitivement un terme à toute légitimité de la violence politique en Bretagne.
Le film se clôt sur ce paradoxe : malgré les excès, malgré les fractures, les revendications bretonnes portées durant ces vingt années – langue, culture, infrastructures, reconnaissance institutionnelle – n’ont jamais disparu. Elles réapparaîtront dans les années 2000, puis durant les Bonnets rouges. « 1960, Bretagne en révolte » propose ainsi un récit sans simplification, où se mêlent colère sociale, mémoire culturelle et quête d’existence collective face à un État centralisateur et jacobin. Une plongée nécessaire dans une histoire de la Bretagne trop souvent réduite à quelques clichés quand elle n’est pas tout simplement niée.
Illustration : DR
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