Neurochirurgien pendant quarante ans avant d’entrer en politique, Jan-Peter Warnke est aujourd’hui député européen du BSW, le parti lancé en janvier 2024 autour de Sahra Wagenknecht et devenu, en quelques mois, l’une des forces les plus inattendues de la scène politique allemande. Sans passé militant, issu de l’ex-RDA et élu sur une dynamique fulgurante, Warnke incarne cette nouvelle droite sociale allemande, anti-immigration, anti-idéologie verte, mais ancrée dans une approche pragmatique et populaire.
Dans cet entretien accordé à Breizh-info.com, il revient sur les raisons du succès du BSW, les fractures toujours vives entre l’Est et l’Ouest, l’attitude à adopter face à l’AfD, mais aussi sur les dysfonctionnements du système électoral fédéral et l’avenir du parti. Avec un ton direct, voire frontal, Warnke dénonce une Allemagne « bloquée », minée par l’idéologie, les erreurs structurelles et un système politique incapable, selon lui, de résoudre les crises du pays. Un témoignage rare, venu d’un élu qui affirme ne devoir rien au système et qui considère que, dans la bataille politique qui s’ouvre, « renoncer n’est jamais un choix ».
Breizh-info : Votre formation politique, le BSW, est relativement nouvelle, puisqu’elle a vu le jour en janvier 2024. Étiez-vous auparavant membre du parti post-communiste Die Linke, dont le BSW est une scission ?
Jan-Peter Warnke : Non, pas du tout. J’ai été neurochirurgien durant quarante années de ma vie et, lorsque j’ai pris ma retraite, j’ai d’abord voulu voyager autour du monde. Sahra Wagenknecht et d’autres membres importants du BSW m’ont demandé si je désirais les rejoindre afin de tenter de résoudre les problèmes que notre société rencontre, qui sont tellement énormes qu’ils sont quasi inconcevables. L’Allemagne est bloquée. Elle est confrontée à tellement de maux structurels que ceux-ci doivent être résolus.
Ayant quatre enfants, je me suis dit que je ne pouvais pas les laisser dans ce délire et devenir globetrotter. J’ai été candidat du BSW lors des élections européennes de 2024 et j’ai été élu. Je ne suis pas un politicien et je n’ai jamais été actif, ni au sein de la gauche, ni de la droite, ni du centre. J’étais juste un chirurgien.
Breizh-info : Comment expliquez-vous l’incroyable et rapide succès rencontré par le BSW ? Votre parti est arrivé à entrer dans les parlements de trois États fédérés de l’Est de l’Allemagne et dans deux gouvernements de ces derniers.
Jan-Peter Warnke : Parce que la demande pour de nouvelles solutions est tellement énorme en Allemagne que nous sommes le visage de celles-ci. C’est pourquoi nous bénéficions d’une telle adhésion au sein de la population, tout particulièrement dans l’Est où les gens sont un peu différents de ceux de l’Ouest car ils perçoivent qu’une idéologie se trouve derrière les idées vertes et la cancel culture. Et le BSW est vraiment à l’opposé du courant dominant en Allemagne. C’est l’une des clés de ce succès.
Breizh-info : Vous pourrez peut-être gagner dans l’Ouest aussi dans le futur ?
Jan-Peter Warnke : Réussir à percer est plus difficile, mais pas impossible, dans l’Ouest du pays, car il est plus ardu de passer au travers du système médiatique qui y est très proéminent, alors que celui-ci l’est moins dans l’Est.
Breizh-info : Comment expliquez-vous que la différence entre la partie Ouest et la partie Est de l’Allemagne est si énorme pour les partis politiques ?
Jan-Peter Warnke : La population de l’Est du pays dispose d’un sixième sens pour les idées et discerne clairement ce qui est réalisé pour des causes idéologiques et ce qui l’est pour des raisons pratiques. En conséquence, pour nous, réussir dans l’Est est plus facile.
Breizh-info : Le BSW perce surtout parce que Sahra Wagenknecht en est la figure de proue !
Jan-Peter Warnke : Elle est la voix et le visage d’un politique qui nomme les problèmes. Elle ne tourne pas autour du pot afin de décrire ces derniers. Elle fait face et nomme les difficultés que rencontre le pays. Elle a des solutions aux ennuis graves que connaît celui-ci.
Breizh-info : Et son mari Oskar Lafontaine est aussi dans le BSW !
Jan-Peter Warnke : Oui, il est aussi dans le parti et toujours en arrière-plan. Il est probablement l’un des conseillers de Sahra.

Breizh-info : Et la relation du BSW avec le parti patriotique AfD ? Pensez-vous que, dans le futur, ces deux formations politiques pourraient diriger ensemble un des États fédérés situés dans l’Est du pays ?
Jan-Peter Warnke : En Allemagne, l’AfD est placée derrière un pare-feu. Les autres partis estiment devoir éviter de discuter avec cette formation politique. Nous ne pensons pas que ne pas leur parler permette de résoudre des problèmes.
Mais, selon nous, le programme de l’AfD ne conduit, en aucune manière, à solutionner les difficultés structurelles que rencontre l’Allemagne. En conséquence, aucune base commune n’existe entre l’AfD et le BSW. Et cela, non pas pour des raisons idéologiques, mais pour celles de contenu.
Par exemple, en Allemagne, le système de santé est proche de l’effondrement. Le remède proposé par l’AfD est la privatisation. Je ne pense pas que cela constitue le bon choix. Notre solution se situe aux antipodes. Nous acceptons de parler avec tout le monde, mais nos objectifs politiques sont complètement différents. Je ne vois pas de base de collaboration.
Breizh-info : Vous pourriez être contraints, à l’issue d’un scrutin dans un des États fédérés de l’Est, de choisir d’y gouverner, soit avec l’AfD, soit avec les partis du système, comme les démocrates-chrétiens de la CDU et les sociaux-démocrates du SPD.
Jan-Peter Warnke : Je pense qu’il est mieux qu’une opposition fondamentale existe dans ce pays. Je ne vois personne, pour le moment, qui suit notre stratégie. Mais les temps peuvent changer.
Breizh-info : Le fait d’entrer, alors que le BSW avait à peine vu le jour, dans les gouvernements d’États fédérés de l’Est n’est-il pas très difficile ? En tant que jeune parti, il vous était très ardu de trouver des personnes formées afin d’exercer ces responsabilités !
Jan-Peter Warnke : Cela était très difficile. La situation n’était pas évidente, mais je comprends que mes collègues de parti de Thuringe et du Brandebourg ont préféré tenter quelque chose plutôt que de laisser tout se dégrader. Mais, le plus important est de siéger à la Chambre fédérale des députés, car cette instance peut prendre les décisions permettant de résoudre les problèmes du pays. Être actif politiquement au niveau fédéral ou au niveau des États fédérés n’est pas la même chose.
Breizh-info : Le BSW a raté de peu les 5 % permettant d’entrer à la Chambre des députés !
Jan-Peter Warnke : Nous rencontrons un énorme problème avec les élections. Des erreurs ont eu lieu lors du comptage des voix. Le nombre de dysfonctionnements survenus lors de ce scrutin engendre le fait que nous pensons que les résultats sont faux et, à mon avis, la Chambre des députés actuelle est illégale.
Breizh-info : Le BSW attend depuis neuf mois une décision à propos d’un éventuel recomptage des voix.
Jan-Peter Warnke : Je ne pense pas que les députés issus des élections législatives seront favorables à un recomptage des voix, car ils se tireraient eux-mêmes une balle dans le pied puisque l’entrée du BSW à la Chambre des députés signifierait moins de députés pour les autres partis. Mais, j’espère fortement que la démocratie fonctionne et qu’un recomptage aura lieu. Sinon, nous irons devant la Cour constitutionnelle afin de l’exiger.
Breizh-info : Sahra Wagenknecht ne sera plus la présidente du parti ?
Jan-Peter Warnke : Oui, elle a annoncé qu’elle se concentrera sur l’élaboration du contenu idéologique du parti. Le BSW étant une nouvelle formation politique qui a commencé à résoudre les problèmes structurels du pays, nous avons besoin d’une personne qui collecte les informations que nous recevons d’experts afin de réaliser un programme à partir de cela. Sahra sera la présidente de la commission des valeurs fondamentales du parti. Je comprends qu’elle se concentre sur cette tâche de structuration du BSW.
Breizh-info : Êtes-vous originaire de l’Est du pays ?
Jan-Peter Warnke : Oui, je viens de l’Est. Je suis né à Dresde et j’ai grandi à Berlin-Est. Je m’en suis échappé en 1987, deux ans avant la chute du communisme. J’ai été condamné par contumace pour cela à un an et demi de prison.
Breizh-info : Pensez-vous que les électeurs du BSW dans l’Est de l’Allemagne ont une nostalgie de l’époque de la République démocratique allemande (RDA) communiste ?
Jan-Peter Warnke : Pas du tout. Tout le monde en avait ras le bol de la situation dans ce pays désormais défunt. Ce que la population rejette est que sa prouesse de vie est négligée par l’Ouest. La réunification n’en a pas été réellement une. Elle a consisté en une prise hostile de contrôle. Tout a été ignoré de l’Est. L’égalité entre les hommes et les femmes était beaucoup plus avancée dans l’Est de l’Allemagne, comme la prise en charge des jeunes enfants. Ce qui est resté est le marchand de sable de la télévision et le bonhomme des feux de signalisation.
L’Ouest de l’Allemagne disait aux Allemands de l’Est qu’ils avaient appartenu à un pays criminel dans lequel la Sécurité d’État (Stasi) était omniprésente et que tout ce qu’ils ont vécu dans ce régime était négatif. Les gens ne sont pas d’accord avec ce point de vue, mais ils ne veulent absolument pas le retour de la RDA. Ce n’est pas une nostalgie.
Breizh-info : Peut-être qu’en RDA les immigrants étaient peu nombreux et que la sécurité était plus grande ?
Jan-Peter Warnke : Lors de la chute du Rideau de fer, les Allemands de l’Est n’ont pas réalisé que, dans l’Ouest, il y avait des barbiers turcs et des restaurants italiens. Cette situation était nouvelle pour eux.
Breizh-info : Désirez-vous ajouter un élément ?
Jan-Peter Warnke : Renoncer n’est jamais un choix. Ce n’est pas un remède. Cela n’appartient pas au combat politique pour la justice, l’égalité et le sens commun.
Propos recueillis par Lionel Baland
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