Quand l’islamisme tue et que l’Europe détourne les yeux

Dans ma cuisine, un couteau, un chrétien assassiné et l’angle mort d’une civilisation

Il y a des matins où la Bretagne ruisselle comme une bruine intérieure. Dans ma cuisine de Lechiagat, la vapeur de mes pommes de terre sans sel monte vers la hotte comme un mince encens domestique. Je les ai préparées ainsi, volontairement dépouillées, pour tenter de compenser le trop-plein de sel de mon premier jambon persillé, que je déguste d’un air perplexe. Je n’y ai pourtant ajouté aucun assaisonnement, mais j’ai mal anticipé la vigueur saline des viandes saumurées que j’avais choisies, une erreur de débutant pour un apprenti persilleur. J’en mâche les morceaux un peu trop fermes et j’entends en moi ce vieux proverbe de Buenos Aires, selon lequel les premières tentatives ressemblent souvent à des brouillons que l’on ne signe pas. On risque toujours de se tromper lorsqu’on s’aventure sur un terrain nouveau et il faut persévérer jusqu’au point d’équilibre, comme un artisan apprivoise sa matière. C’est tout ce que l’on peut demander à un homme, ou à une civilisation.

Sur l’ordinateur posé entre la fenêtre embuée et la planche à découper, je lis les deux articles très fouillés de Jean Chichizola dans Le Figaro. Ils vont aussi loin que la pusillanimité ordinaire du journal le permet, et retracent le parcours de Sabri B., mis en examen pour avoir égorgé à Lyon, le 10 septembre dernier, Ashur Sarnaya, chrétien irakien en fauteuil roulant. Les enquêteurs ont exploré en profondeur son téléphone, et l’article du 26 novembre 2025 en déroule les strates comme un archéologue qui dégage les couches d’une croyance devenue meurtrière, page après page .

On y voit comment un musulman déjà rigoriste a glissé, lentement mais sûrement, vers un djihadisme assumé. Rien n’a été soudain, rien n’a été impulsif. Dès décembre 2024, il consulte des prédications salafistes, puis des prêches saoudiens, des hymnes guerriers, des manuels de mobilisation, les appels de Daech et d’al-Qaida. Il regarde encore et encore les images du 11 septembre, explore la revue al-Naba, se renseigne sur l’actualité du califat, installe Tor pour dissimuler ses connexions. On retrouve dans son appareil des slogans appelant explicitement au meurtre des chrétiens. Et Chichizola note, détail glaçant, qu’après son crime, il se passionne pour les réactions arabophones à l’assassinat, comme si la résonance numérique consolidait son geste.

L’autre article de Chichizola, le même jour, rappelle que les djihadistes ciblent les chrétiens européens depuis des décennies, les qualifiant de croisés, idolâtres, infidèles . Les menaces, toujours les mêmes, identifient l’Occident au christianisme et le christianisme à un ennemi éternel. Ce n’est ni un hasard ni une dérive. C’est un horizon doctrinal.

Je regarde mon couteau étinceler sous la lumière pâle. C’est un instrument innocent, destiné à trancher un jambon trop salé. Pourtant, il me rappelle que l’on refuse souvent de voir ce qui se tient devant soi. Les élites françaises distinguent avec obstination le musulman ordinaire de l’islamiste, comme si l’un était la fleur et l’autre la maladie. Pourtant, comme le savait Carl Schmitt, l’identité politique devient dangereuse lorsqu’elle est prise au sérieux. La différence entre un croyant scrupuleux et un meurtrier djihadiste n’est pas de nature, mais de degré. L’un suit les normes avec zèle, l’autre les pousse jusqu’au sang. Le continuum est le même, seule varie la chaleur interne.

 

Les témoignages rapportés par Chichizola sont limpides. Le suspect était vu comme un bon musulman, priant régulièrement, rappelant ses camarades à la rigueur de la loi religieuse, s’offusquant d’interjections imprécises, insistant pour que les femmes portent le voile. Rien de tout cela ne constitue du terrorisme. Tout cela fait partie de l’amont, tranquille et quotidien. L’islamisme est une intensité plus forte du même ensemble. Le noyau est identique, seule varie l’énergie.

De tout cela naît une question plus vaste, que l’on esquive comme un marin contourne un récif qu’il sait pourtant inévitable. Comment une religion, lorsqu’elle porte en elle des commandements de guerre, de domination ou de séparation radicale, parvient-elle à habiter la cité moderne sans semer la discorde et la crainte ? Les Européens ont longtemps cru que le temps agit comme un dissolvant universel, que les textes s’adoucissent avec les siècles et que les dogmes se transforment sous l’effet de la seule coexistence. Or, il n’en est rien. Ce sont les peuples, acculés par l’histoire, qui infléchissent leurs doctrines, parfois à contrecœur, parfois par nécessité vitale. C’est en méditant cette exigence que l’on peut se tourner vers l’un des rares précédents éducateurs.

Il existe cependant un précédent historique, mais il est plus complexe et plus contraint qu’on le prétend souvent. Le judaïsme, privé de souveraineté après la destruction du Second Temple en 70 de notre ère puis l’échec de la révolte de Bar-Kokhba en 135, se retrouva dans l’impossibilité d’appliquer les prescriptions théocratiques et guerrières de la Torah écrite. Dispersé, persécuté, interdit d’armes, le peuple juif dut forger une tradition orale faite de gloses patientes, de responsa et de takkanot, où les commandements les plus incompatibles avec la vie sous domination étrangère furent atténués, contournés ou reportés à un avenir messianique. Cette transmutation ne fut pas un renoncement magnanime, mais un art de survie, façonné par des contraintes extérieures prolongées et porté par des controverses internes. Ce n’est qu’avec l’émancipation moderne puis la renaissance d’un État juif que certaines franges religieuses purent renouer avec une lecture plus littérale, sans retrouver toutefois la moindre ambition impériale comparable à celle que l’islam classique continue de maintenir dans son horizon doctrinal.

Je recoupe un morceau de jambon et je le trouve presque moins salé, peut-être parce que mes papilles se sont ajustées, peut-être parce que l’on apprend malgré soi à apprivoiser l’imperfection. L’Europe devrait en faire autant, retrouver ce que Jünger appelait la vision nette, celle qui distingue l’ennemi sans l’inventer et qui refuse de travestir le réel sous les habits rassurants de l’idéologie.

Et pourtant, une ombre persiste. Pour que l’islam en Europe puisse un jour accomplir cette transmutation intérieure, comparable à celle que d’autres religions ont dû consentir, il faudrait qu’il demeure clairement minoritaire, sans aucune perspective de renverser l’équilibre démographique ni de remporter la bataille culturelle. Une tradition religieuse n’assouplit ses dogmes que lorsqu’elle se sait contrainte, contenue, parfois vulnérable. Ce n’est pas encore le cas ici. L’islam européen se vit trop souvent, non comme une survivance fragile, mais comme une force montante, sûre de son avenir et convaincue que le temps joue pour elle. Tant que cette certitude prévaudra, les évolutions pacificatrices que l’on espère resteront improbables et peut-être illusoires. C’est la leçon dure, mais incontournable, que nous livre l’histoire.

Balbino Katz
Chroniqueur des vents et des marées
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Crédit photo : DR
[cc] Article relu et corrigé par ChatGPT. Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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