Le vent d’ouest s’était levé tôt ce matin, un vent saumâtre qui remontait les quais du port du Guilvinec avec un bruit d’écailles froissées. Je m’étais réfugié au bar des Brisants, à la pointe de Lechiagat, cette presqu’île où la terre hésite avant de replonger dans le vide. Derrière la vitre, l’élévateur à bateaux, immense carcasse bleue dressée vers le ciel, m’apparaissait comme un menhir d’acier, un dieu moderne dressé contre le ciel, comme si les hommes avaient voulu rivaliser avec la mer, toujours souveraine.
Je lisais, dans le calme battu par les rafales, une longue enquête publiée par Joel Kotkin et Samuel J. Abrams dans RealClearInvestiga
Je relisais certains passages comme on remonte une sonde métallique du fond de l’eau, avec inquiétude, car ce qu’ils décrivaient aux États-Unis n’a rien d’un phénomène lointain. On en devine déjà les secousses en Europe, dans nos universités saturées de discours de déconstruction et dans les métropoles où l’individualisme devient religion civique.
L’article de Kotkin et Abrams montrait comment les femmes célibataires et sans enfants votent massivement pour le Parti démocrate, à près de soixante huit pour cent selon les sondages de CNN. Cette adhésion ne relève pas seulement de la question de l’avortement ou d’un progressisme pavlovien, elle s’inscrit dans une transformation plus profonde.
Les auteurs soulignent que ces femmes sont les premières victimes d’un basculement intellectuel survenu au sein de l’université américaine. Une révolution tranquille, dont les campus ont été le laboratoire puis le tremplin. Les études de genre explosent, les facultés se féminisent, la pensée critique se transforme en un catéchisme où l’homme hétérosexuel devient figure du mal. La famille traditionnelle est implicitement présentée comme suspecte, la maternité comme une entrave, le mariage comme un archaïsme.
C’est ainsi que se fabrique un type d’individu parfaitement conforme à l’idéologie dominante, une femme disciplinée par les injonctions du féminisme universitaire. Elle ne croit plus aux hommes, ne croit plus en la complémentarité, ne croit plus au foyer, ne croit plus à la transmission, et parfois ne croit plus en la réalité biologique qui l’habite.
Elle croit en revanche au salut politique, à la mobilisation permanente, au rôle nourricier de l’État. Elle devient la consommatrice idéale des récits progressistes, celle que nourrit le désir d’appartenance, cette sève psychologique si profondément féminine dont les propagandes modernes savent tirer parti. Le féminisme y trouve ses meilleurs bataillons.
Je contemplais l’élévateur bleu, immobile dans la bourrasque, et je pensais à ces femmes en apparence si libres, mais prisonnières d’un modèle de vie où la liberté est confondue avec la solitude.
Car les chiffres que rapportent Kotkin et Abrams sont implacables.
L’Amérique compte quarante deux millions de femmes adultes vivant seules, et une femme sur six atteint la fin de sa vie féconde sans avoir connu la maternité. Le nombre de foyers sans enfants explose, tandis que les grandes métropoles deviennent des archipels d’individus isolés.
Ces femmes ont été encouragées à renoncer à tout ce qui fut longtemps une part stable de la condition féminine, non par contrainte mais par pression culturelle. L’université les a formées à penser que la maternité les diminue, que l’homme est un adversaire ou un prédateur, que la famille est un piège, et que le bonheur se trouve dans la profession, l’indépendance, la cause.
Elles l’ont cru.
Et puis le temps passe. On ne rattrape jamais ce que l’on n’a pas vécu. On se retrouve à trente cinq ans dans un studio de Manhattan, à quarante cinq ans dans un immeuble de Boston, à cinquante ans dans un quartier gentrifié de Los Angeles, avec un chat, des diplômes et un laboratoire intérieur silencieux. On se découvre mortelle. On se demande qui viendra au cimetière.
Les sociétés qui promeuvent cette trajectoire sacrifient des générations entières sur l’autel d’un progressisme abstrait. Elles transforment la psychologie féminine en une mécanique électorale.
En Europe, ce glissement est déjà visible. Les grandes villes françaises, allemandes, suédoises, sont devenues des habitats pour femmes seules, diplômées, progressistes, travaillant dans les métiers du soin, de l’administration, de la culture, toutes professions dépendantes d’un État toujours plus vaste. Elles votent pour le système qui garantit leur indépendance matérielle et leur solitude organisée.
Cette nouvelle classe féminine joue contre elle même. Elle marginalise les hommes, réduit le désir masculin à une menace, pathologise la différence des sexes, et croit servir sa liberté en détruisant les structures qui l’ont portée. C’est un phénomène que Spengler aurait sans doute lu comme un signe du Fäulnis, une décomposition lente du tissu vital des civilisations.
Pourtant, au pays de Lechiagat comme à travers l’Europe, je vois aussi autre chose. Je vois des femmes qui refusent ce destin stérile. Je vois celles que les journalistes de gauche appellent avec mépris les trad wives, les épouses traditionnelles, les femmes qui revendiquent la maternité comme une joie, la famille comme une cathédrale, l’homme comme un compagnon et non comme un ennemi.
Je vois des femmes jeunes, lucides, qui observent le naufrage démographique de l’Occident et comprennent que la liberté ne se trouve pas dans la solitude mais dans l’engagement, dans le don de soi, dans la construction patiente d’un foyer. On trouve sur Instagram un joli reflet de cette tendance dans memoires de campagne, un blog personnel d’une mère de famille que je suis régulièrement.
Je vois des militantes de droite, des Européennes, des Américaines, qui défendent la famille, la transmission, l’enracinement. Elles savent qu’elles portent en elles la possibilité d’une renaissance. Elles ne sont pas des victimes, elles sont des fondatrices.
Et au fond, une consolation demeure. Les idéologies gauchisantes ne font pas d’enfants. Elles parlent, elles manifestent, elles s’indignent, mais elles ne se reproduisent pas. Elles s’éteignent naturellement, comme une braise pauvre dont personne ne veut raviver la lumière.
Le vent frappait toujours la vitre lorsque je refermai mon ordinateur. L’élévateur bleu se dressait, stoïque, face à la mer. Il m’apparaissait comme l’image inverse de notre époque, une structure solide qui soutient les bateaux au moment où ils quittent l’eau, un bras d’acier tendu pour éviter qu’ils ne s’écrasent.
Je me disais qu’il faudrait peut être des femmes de cette trempe pour relever nos nations.
Balbino Katz
Chroniqueur des vents et des marées
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